« Le Rêve du Jaguar », une épopée vénézuélienne de Miguel Bonnefoy

« Les paysans de Maracaibo sont persuadés que, dans toute portée de chat, il y a un jaguar. La mère, prudente, l’isole, le chasse, pour empêcher de dévorer les autres. Il grandit différemment. Il s’émancipe. Ce sont les bâtisseurs de cette ville. On est tous fils d’un rêve de jaguar. »

Fils et filles de Jaguar

Maracaibo, c’est une ville du Venezuela où se passe l’épopée flamboyante de quatre générations se suivent sans tout à fait se succéder. Tout commence avec une scène immémoriale : sur les marches de l’église, un bébé abandonné est sauvé par une mendiante. Sans amour réel et en l’emmenant dans sa vie pauvre, dure, sale et effroyable, elle lui apporte ce dont il a besoin pour pousser. Et quelle croissance ! Le petit garçon multiplie les métiers. Adolescent, il est notamment homme à tout faire dans un bordel et c’est très formateur. Et il monte l’échelle sociale jusqu’à devenir médecin et constructeur d’hôpital et d’université. Sur sa route il rencontre une femme déterminée, Anna Maria et ensemble, ils créent une lignée que ni la violence de la dictature, ni la disparition d’un fils, ni la mondialisation ne parviennent à décimer.

Ainsi naît la littérature

Quand on entre dans ce texte à la fois touffu et limpide on pense évidemment à Cent ans de solitude de Gabriel Garcia Marquez : Le rêve du Jaguar déploie des généalogies qui boivent aux sources des mythes du lac Maracaibo. En suivant les personnages du livre, génération après génération, on embrasse à la fois leurs épreuves et réussites personnelles, leurs émois. Tout ceci, par le point de vue externe d’un narrateur un peu magicien. Et l’on s’immerge aussi dans l’Histoire politique du Venezuela. Vanité des Vanités, le texte démontre la fragilité des grandes constructions. Mais aussi comme le récit familial passe de l’oral à l’écrit. L’arrière-petit-fils commence à prendre des notes, ainsi naît la littérature. Le rêve du jaguar est un texte littéraire tout à fait remarquable, qui fait le lien entre des traditions fécondes et une modernité redoutable.

Retrouvez la chronique de Yaël Hirsch sur le roman de Miguel Bonnefoy dans « Les matins Jazz»