Deuxième roman du très prometteur Atticus Lish, Le Monde de la berge fleurie est décidément à compter parmi les fictions marquantes de cette rentrée littéraire.
En 2016, cela avait été un très grand moment de lecture. Le premier roman d’Atticus Lish, Parmi les loups et les bandits, sortait chez nous et recevait la même année le Grand prix de littérature américaine en France. Une année plus tôt, on lui décernait le prix PEN/Faulkner, un des prix littéraires les plus prestigieux des Etats-Unis. Atticus Lish s’intéressait alors à deux paumés dans un New York profondément ébranlé par les attentats du 11 septembre 2001. Porté par une langue travaillée et tordue dans tous les sens, le roman, à travers les figures d’une immigrée chinoise et d’un vétéran de la guerre en Irak, creusait les thèmes du racisme, de la pauvreté et des petits boulots.
Poursuivant son travail de Dickens et de Zola contemporains, Atticus Lish livre un roman émouvant, roman-somme, total, Le Monde de la berge fleurie. Sur plusieurs années, lecteurs et lectrices sont invités à suivre le jeune Corey Goltz, quinze ans au moment où s’ouvre le roman. Élevé par sa mère Gloria dans la banlieue de Boston, Corey grandit tranquillement jusqu’à ce qu’on diagnostique à Gloria la maladie de Charcot. Perdant peu à peu son autonomie (« Petit à petit, la patiente ne pourra plus rien faire jusqu’à devenir entièrement paralysée. En général, la mort survient dans les trois ou cinq ans par insuffisance respiratoire. »), Gloria ne peut plus aider son fils. Projeté tant bien que mal dans le monde des adultes, Corey va devoir faire face et tenir bon.
Le Monde de la berge fleurie (The War for Gloria, titre original, plus parlant) regorge de personnages aux personnalités complexes. Atticus Lish arrive d’ailleurs à croquer le personnage le plus détestable de cette rentrée littéraire, Leonard, le père de Corey, profiteur et manipulateur. A ce trio s’ajoutent l’étrange ami de Corey, Adrian, passionné par les théories nietzschéennes et la musculation, les Hibbard, voisins directs, ou encore Joan, ancienne colocataire.
L’auteur s’intéresse au quotidien d’une famille de classe moyenne, voire pauvre, qui fait face à la maladie. Beaucoup de concret et peu de rêves dans Le Monde de la berge fleurie : on y parle parpaings, placo et tuyauterie, pleins d’essence, trajets en métro, emplois du temps, mais aussi fins de mois difficiles, aides de l’Etat. Dans ce roman d’apprentissage, Corey essaye tant bien que mal de se faire sa place, submergé par un quotidien plombant (« Il aurait pu pratiquer la respiration yogique et se servir du prana pour apaiser sa mère. Pourquoi ne l’avait-il pas fait ? Bonne question. La maladie, le stress, l’arrogance, l’impatience, l’aveuglement. »). Un livre bouleversant, passionnant, et qui ose parler de vrais problèmes sans verser dans le misérabilisme.
« Leonard n’offrit plus jamais de conduire Gloria. Mais ne partit pas pour autant. Dès la deuxième semaine de février, il consolida sa présence chez eux en y passant toutes ses nuits, comme s’il vivait vraiment là, en vrai membre de leur famille. Une famille dans laquelle personne ne parlait. La maison résonnait d’une tension inaudible. Gloria et Leonard faisaient semblant de ne pas se connaître. Elle attendait que Leonard finisse dans la cuisine et, sans un mot, se préparait à dîner.
Corey n’adressa plus du tout la parole à Leonard. À partir de ce moment, quand il voyait son père, il mettait ses écouteurs, augmentait le volume et écoutait Theory of a Deadman. »
Le Monde de la berge fleurie, Atticus LISH, traduit de l’anglais (Etats-Unis) par Céline Leroy, Christian Bourgois éditeur, 632 pages, 25 €