« Le Fils du père » de Víctor del Árbol : La violence des hommes
par Julien Coquet05.01.2025
Dernier roman de l’écrivain espagnol, maintenant disponible en poche, Le Fils du père sonde la noirceur des hommes sur trois générations.
« J’ai enlevé Martin Pearce, je l’ai jeté dans le coffre de ma voiture et j’ai fait plus de mille kilomètres jusqu’à la Grande Maison. Là, je l’ai torturé pendant trois jours et trois nuits, et le 11 novembre 2010 je l’ai tué de deux balles dans la tête. » Ainsi s’ouvre Le Fils du père, dernier polar de Víctor del Árbol. Il faut comprendre le geste de Diego Martin, professeur de littérature à l’université de Barcelone, riche et entouré d’une femme aimante et d’une belle-fille capricieuse. Que peut-il se passer dans la tête d’un homme pour commettre l’irréparable ? Reclus dans une unité d’évaluation et de soins psychiatriques, Diego Martin écrit une sorte de confession.
« Ainsi qu’il l’avait fait toute sa vie, refusant d’accepter qu’il était comme son père, comme son grand-père. »
Pour tenter de comprendre le meurtre initial, Le Fils du père va procéder en mélangeant les époques et les narrations, sans jamais perdre son lecteur et sa lectrice. Víctor del Árbol débute avec le grand-père de Diego, Simón, un homme bourru, violent avec sa femme et ses enfants, employé par une grande famille propriétaire terrienne, les Patriota. L’auteur espagnol s’attarde sur la période trouble de la guerre civile, avant d’envoyer le grand-père sur le front russe dans la division Azul de Franco. Le père de Diego est frappé lui aussi de plein fouet par la violence des hommes, obligé de fuir son propre père jeune, aidé par le curé du village, et réfugié à Barcelone. Engagé dans la Légion étrangère, le père de Diego part dans le Sahara occidental où il connaîtra la loi du plus fort dans les colonies. Tous seront marqués par la violence, comme si celle-ci se transmettrait de père en fils, tel un lourd héritage.
Le Fils du père, en multipliant les lieux et les époques, interroge la naissance du mal et sa propension. La violence est-elle inéluctable ? « Il ne parvenait pas à se débarrasser de l’impression que l’histoire de sa famille était un cercle vicieux qui les retenait tous prisonniers et ne laissait personne s’échapper. » Très violent et noir, à la construction habile, le roman ne porte en lui aucun espoir, abordant l’inceste, le viol, le suicide, le meurtre, la guerre, etc.
Extrait :
« Il existe un obscur secret caché dans le cœur de tous les pères. Un moment terrible où le père se sent d’abord menacé puis éclipsé par le fils. On nous a enseigné que la jalousie et l’envie d’un père envers sont fils ne sont pas naturelles, que l’amour et l’instinct de protection l’emportent toujours. Qu’il est impossible de considérer un fils comme un rival. Aucun père n’avouera ressentir de tels sentiments, il ne l’admettra même pas dans la solitude de son cœur. »
Le Fils du père, Víctor del Árbol, traduit de l’espagnol par Claude Bleton et Emilie Fernandez, Babel Noir, 368 pages, 9,90 €
Visuel : © Couverture du livre
