« Le délicieux Professeur V. » : chronique du temps d’après par Julia May Jonas

Pandémie, rapports de domination, défi climatique, non-binarité, libération de la parole, crise d’identité : ces thèmes ont fini par s’imposer comme des marronniers de la rentrée littéraire et, pour certains d’entre eux, on ne peut qu’applaudir des deux mains. N’empêche que le risque est grand de se lasser de lire des sillons déjà bien creusés, la peur immense de n’avoir rien de neuf à se mettre sous la dent. Mais c’était sans compter Julia May Jonas. Son idée ? Raconter la vague #MeToo dans le monde universitaire du point de vue de la génération des boomers.

La narratrice du délicieux Professeur V. est professeure de littérature anglaise dans une université américaine de milieu de tableau. Proche de la soixantaine, toujours ambitieuse et déterminée à commettre un nouveau roman, elle est aussi la femme du « porc », le directeur du département d’anglais qui vient d’être suspendu de ses fonctions. Son forfait ? Avoir eu, avant que le règlement de l’université ne l’interdise strictement, des rapports sexuels (consentis) avec des étudiantes. Alors qu’elle tente, bon gré mal gré, de se dissocier du scandale, la narratrice est rattrapée par ses propres désirs que concentre à lui seul le délicieux et jeune Professeur Vladimir tout juste arrivé sur le campus.

Julia May Jonas nous régale avec sa narratrice qui reproche aux jeunes femmes d’aujourd’hui d’avoir perdu toute agentivité tout en voulant elle-même devenir objet. Elle explore avec un talent certain la colère créative, le désir au féminin, la jalousie, les relations de pouvoir entre professeurs et étudiants. Elle fait preuve d’un sens aigu du détail et de l’autodérision pour décrire ce que l’âge (et pas que) fait aux femmes. Sa plume, aiguisée et assurée, se perd parfois en digressions professorales qui, si elles peuvent servir à combler le gouffre d’incompréhension entre les générations, ne servent pas toujours son roman. Quant à la fin ? Elle sera sans doute déceptive pour beaucoup, mais elle n’enlève rien au fait que Le délicieux Professeur V. signe une prometteuse (r)entrée en littérature.