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« Le crématorium froid », le témoignage de József Debreczeni sur Auschwitz enfin publié

par Yaël Hirsch
06.09.2024

Publié en Serbie en 1950, Le crématorium froid est le témoignage du juif hongrois József Debreczeni, déporté à Auschwitz de novembre 1944 à mai 1945. Un livre enfin publié en anglais l’an dernier et qui nous arrive en Français en cette rentrée littéraire comme une œuvre indispensable.

75 ans d’oubli…

Il a fallu attendre la Foire de Francfort de l’automne 2023 pour que le témoignage du journaliste József Debreczeni, de son vrai nom József Bruner, suscite enfin l’intérêt. Bien plus tard encore, donc, que le Prix Nobel hongrois Imre Kertész, qui avait mis 25 ans à publier Être sans destin : Un livre qui n’est parvenu en France qu’en 1997 !

S’agissant du Crematorium froid, la traduction anglaise de Paul Olchváry est parue en janvier aux États-Unis. Le neveu de l’auteur, Alexander Bruner, a beaucoup œuvré pour l’édition du livre et l’a présenté à la Knesset. L’écrivain Jonathan Safran Foer a défendu ce texte comme indispensable. Et il est enfin paru en hongrois, sa langue d’origine. Le texte est disponible en français depuis le 28 août, dans la collection La Cosmopolite chez Stock. La traductrice, Clara Royer, explique sobrement la trajectoire de ce témoignage et celle de son auteur, journaliste reconnu, critique musical, et juif très assimilé. Déporté à Auschwitz, il a été déplacé trois fois et a survécu, alité dans les baraquements de Dörnhau. Comment expliquer un tel oubli, alors que l’auteur, qui a perdu toute sa famille, a continué à écrire jusqu’à sa mort en 1978 ? Installé à Belgrade à une époque où le bloc soviétique ne parlait pas d’Auschwitz, il n’était peut-être pas assez critique du bloc de l’Est pour que son récit traverse le rideau de fer. Aujourd’hui, nous découvrons enfin une œuvre essentielle.

« Voyage au pays d’Auschwitz »

C’est ainsi que József Debreczeni sous-titre son récit. On le suit depuis le train jusqu’à son grabat de l’infirmerie, tel un guide lucide sur le pays d’aliénation et de destruction totale auquel l’organisation nazie l’a assigné. Tout commence par l’intolérable voyage en train. L’auteur nous fait ensuite entrer dans un présent qui semble sans fin, dans l’immensité de Gross-Rosen, où il est jeté dans trois camps différents. Il décrit avec précision ce qui est fait à son corps et à celui des autres : la tonte avec des instruments rouillés, la douche brûlante, le froid, la crasse, la vermine, les poux, la dysenterie, et surtout la faim, qui occupe toute la place. Il parle aussi du manque de cigarette, des interminables appels, et des bruits. La dureté du travail physique est intolérable, le pire étant de travailler sous terre. Malgré tout, le corps lutte pour survivre, même dans la destruction totale de l’humanité.

Une analyse politique précise

József Debreczeni décrit également l’organisation humaine du camp. Les nazis sont presque absents du système qu’ils ont mis en place, laissant régner les criminels et les sans-vergogne. Ces derniers chutent souvent aussi rapidement qu’ils ont été propulsés kapos. Le troc chaotique domine, aussi bien pour les sous-vêtements que pour les rations de pain. Le vol est omniprésent. Alors que le IIIe Reich est en train de perdre la guerre, rares sont ceux qui se rassemblent pour suivre les nouvelles des fronts. Pourtant, nombreux sont ceux qui continuent de former une sorte de groupe, même sans parler de langue commune. Ainsi, même lorsque l’espérance de vie n’est que de quatre mois, qu’il dort souvent contre un mort, et que le monde extérieur est oublié, József Debreczeni dépeint une hiérarchie. Il y a des favoris, des malins, des grandes gueules, des trahisons, et parfois, un acte charitable, qui arrive toujours trop tard. À mesure que l’auteur progresse dans cet enfer, on comprend qu’il n’est pas nécessaire d’avoir de l’humanité pour qu’il y ait une société, même défigurée. Cela culmine avec le « crématorium froid », sorte de mouroir pour les malades trop faibles pour travailler. Là, l’auteur se retrouve allongé, avec des rations réduites de deux tiers et à la merci d’infirmiers et de médecins, qui sont parmi les kapos les plus violents.

Lorsque les nazis partent, il est incapable de marcher et choisit de rester, malgré le risque de quarantaine. Il décrit la libération du camp par les Russes. Ces derniers apparaissent non seulement comme des sauveurs mais aussi comme terriblement humains, ce qui ne lui a peut être pas été pardonné en pleine guerre froide.

József Debreczeni, Le crématorium froid, Au pays d’Auschwitz, trad. Clara Royer, Stock, La Cosmopolite, 336 p., 22,90 euros. Sortie le 28/08/2024.

visuel : couverture du livre