Dans sa collection L’Imaginaire, Gallimard publie un roman surréaliste peu connu en France, Le Cornet acoustique de Leonora Carrington, un joyeux fatras.
Il est des romans inclassables, et heureusement. Le Cornet acoustique, de Leonora Carrington, en fait partie. À peine ce roman d’apprentissage ouvert (« Le jour où Carmella me fit présent d’un cornet acoustique, elle aurait pu prévoir les conséquences de sa générosité. »), il vous sera impossible de savoir quel fil narratif choisira de dérouler l’auteure. Car comme le dit la quatrième de couverture, les femmes dérangées dérangent. Et en réunir une dizaine au même endroit ne peut que produire des étincelles.
Au début du roman, la vieille Marion Leatherby, quatre-vingt-dix-neuf ans et toutes ses dents, mais sourde comme un pot, se voit offrir un cornet acoustique par sa meilleure amie Carmella. Au détour d’une séance d’espionnage, son cornet vissé à l’oreille, Marion apprend que son arrière-petit-fils qui l’héberge souhaite se débarrasser d’elle. Ni une ni deux, la vieille dame se retrouve placée dans une maison de retraite gérée de main de fer par le Docteur Gambit et sa femme qui cherchent à « amener les gens à l’œuvre, c’est-à-dire au Christianisme Profond ». Entourée d’une dizaine de comparses toutes plus folles les unes que les autres, hébergées dans des bungalows en forme d’igloos et de gâteaux d’anniversaire, Marion apprend la vie en communauté avant que tout ne déraille joyeusement.
Comme l’écrit Annie Le Brun en préface, Le Cornet acoustique relie « les contraintes mais aussi ce qui est habituellement censé être incompatible, entre autres l’animal et l’humain, la chaleur des Tropiques et le froid des Pôles, la vieillesse et la jeunesse ». Leonora Carrington, qui écrivit le roman entre 1953 et 1963, s’amuse grandement à faire évoluer son attachant personnage de jeune femme dans un monde qui ne tourne pas rond : les vieilles dames sont en pleine forme, une inversion des pôles se produit, on part à la recherche du Graal, on rencontre son propre double…
Si Le Cornet acoustique se révèle assez simple à suivre au départ, il pourra perdre par la suite certains lecteurs, en cause une narration qui part un peu dans tous les sens : « Mon esprit va tellement de l’avant, ou plutôt de l’arrière, que je ne pourrai jamais poursuivre mon récit si je ne parviens pas à maîtriser ces souvenirs ». On vous donne ainsi le droit de passer la cinquantaine de pages centrales sur la vie d’une abbesse. Pour autant, le livre recèle assez d’étrangetés, de trouvailles et surtout d’humour pour qu’on s’y intéresse.
Le Cornet acoustique, Leonora CARRINGTON, traduit de l’anglais par Henri Parisot, Gallimard, Collection L’Imaginaire, 240 pages, 12 €
Visuel : © Couverture du livre