« Le Cinéma en partage » et « Une renaissance américaine » : Michel Ciment nous manque

Le Cinéma en partage : L’art de l’entretien

Paru pour la première fois en grand format en 2014, les éditions Rivages ont la bonne idée de publier en format de poche les entretiens menés par N. T. Binh avec Michel Ciment. Le Cinéma en partage débute par un retour de Michel Ciment sur sa vie, via son enfance et ses premières expériences de spectateur, avant de débuter ensuite sur les premières critiques : si Michel Ciment choisit d’écrire pour Positif et non pour Les Cahiers du cinéma, revue de cinéma rivale, c’est avant tout pour des questions politiques et d’ouverture aux autres arts (Ciment revient souvent sur la peinture). Son premier texte portera sur Le Procès d’Orson Welles, qu’il défend. N. T. Binh, lui aussi critique à Positif, revient également sur les cours données par Michel Ciment à l’université, et l’expérience importante de critique au Masque et la Plume qu’il rejoint en 1970.

Au-delà du métier de critique, Michel Ciment revient longuement sur sa cinéphilie et l’importance pour lui des livres d’entretiens consacrés à Elia Kazan, Joseph Losey, Stanley Kubrick (« un grand philosophe et un sceptique ») ou encore Jane Campion (« une réalisatrice exactement selon mon goût »). On note aussi ce drôle de passage concernant un livre avorté sur Godard commandé par Gallimard : « Je leur ai dit non, parce que je n’avais pas le courage d’écrire un ouvrage de 900 pages sur quelqu’un qui, de toute façon, allait me cracher au visage quand j’aurais terminé le livre ! ».

Le cinéma en partage se révèle donc riche en anecdotes sur « une vie de cinéma » (autre livre de Michel Ciment compilant critiques et articles). On apprend à connaître un critique internationalement distingué, qui permit de faire reconnaitre certains réalisateurs, et notamment le travail de Kubrick en l’approchant au plus près. Tout en conversant, Michel Ciment donne à voir une certaine vision de son métier qu’on pourra prolonger en écoutant les cinq épisodes de l’émission de France Culture « A voix nue » intitulés « Michel Ciment, une vie en ciné-textes ».

Une renaissance américaine : Les conquérants d’un nouveau monde

Le Cinéma en partage est décidément à mettre en parallèle avec une autre publication, Une renaissance américaine. Entretiens avec 30 cinéastes, déjà paru en grand format en 2014. Nouveau Monde Editions a reproduit des entretiens parus dans la revue Positif, tandis que le photographe Nicolas Guérin s’est chargé de vingt-trois portraits photographiques. Le champ d’étude est vaste : tout d’abord temporellement, le premier entretien datant de 1970 (Barbara Loden pour Wanda) et le dernier de 2011 (Jeff Nichols pour Take Shelter), mais aussi géographiquement, Hollywood ne concentrant plus toute la production cinématographique (New York se constitue en terrain de jeu de Woody Allen, Scorsese, Paul Schrader…).

La cohérence du livre tient à l’amour que porte Michel Ciment à ces cinéastes : « le choix des entretiens publiés dans ce volume ne répond qu’à mes goûts pour des cinéastes américains des nouvelles générations qui m’ont marqué durant ces quarante dernières années et que j’ai eu la possibilité de rencontrer ». On trouve donc des pointures comme Tim Burton, Woody Allen, Stanley Kubrick, etc. mais aussi des cinéastes plus rares ou confidentiels : Barbara Loden a réalisé un unique long métrage (Wanda en 1970), Lodge Kerrigan qui « aura livré une trilogie admirable » (Clean, Shaven ; Claire Dolan et Keane) ou encore James Toback, loué pour son Mélodie pour un tueur (1978).

On pourra donc lire ces entretiens pour mieux comprendre tel cinéaste, ou en découvrir certains. Mais on est en droit également d’aller chercher les petites phrases, tel Tim Burton qui, lorsque Michel Ciment lui demande s’il va préparer Beetlejuice 2, répond « Non, non. C’est amusant parce que je n’aime pas particulièrement les suites, je suis même plutôt contre parce que je les trouve très difficiles à réussir. », alors que son Beetlejuice Beetlejuice est prévu pour septembre 2024. On sent en tout cas à chaque fois le réel intérêt de l’intervieweur pour l’interviewé.