Les liens entre sexe et capitalisme ne sont pas nouveaux : le sexe « fait vendre », c’est bien connu. Mais Eva Illouz et Dana Kaplan décident d’aller plus loin dans l’exploration des liens entre néolibéralisme et sexualité.
Au départ de la réflexion des deux chercheuses, il y a cette notion de « capital sexuel », qui n’est décidément pas si facile à comprendre. Globalement, les sociologues comme les penseurs de la sexualité font appel à la notion de « capital sexuel » « pour expliquer comment les acteurs tirent profit des subjectivités, expériences et interactions sexuelles – y compris les actes, les sentiments et les pensées -, que ce soit sur les marchés économiques et matrimoniaux ou dans les aventures sexuelles ». La notion de « capital », hautement marxiste, indique en effet qu’une ressource peut produire de la richesse, la fameuse plus-value. Tout le travail de Le Capital sexuel va être de montrer quelle richesse produit ce fameux capital sexuel, et en quoi il participe à la reproduction du capitalisme même.
Selon les deux auteures, il existe quatre formes du capital sexuel. Le capital sexuel par défaut (chasteté) donne une valeur, surtout à la femme, si elle n’a jamais eu de relations sexuelles. Le capital sexuel comme plus-value du corps rend compte de la transformation du corps en marchandise, et se retrouve notamment présent dans la prostitution. Le capital sexuel incarné, plus déguisé, désigne particulièrement le sex-appeal et les compétences sexuelles. Enfin, le capital sexuel néolibéral est le réel objet d’étude du livre, car il désigne le fait que le sexe est de plus en plus pensé comme un moyen de se démarquer sur un marché compétitif, spécialement sur le marché de l’emploi.
Dana Kaplan et Eva Illouz montrent ainsi qu’il existe un lien fort entre la sexualité et l’employabilité, tout en remarquant qu’il existe peu de recherches empiriques sur le sujet. Si, auparavant, le sexe appartement à la sphère privée, celui-ci aurait été peu à peu happé par la sphère économique lors de la modernité tardive (néolibéralisme). Le livre se révèle complexe souvent, et aurait gagné sûrement à être mieux illustré d’exemples ou de recherches en sociologie quantitative. Pour autant, et comme fréquemment dans les travaux d’Eva Illouz, la réflexion s’avère novatrice et ouvre des champs de réflexion à venir.
« Pour résumer, nous identifions un début d’évolution dans le mode de coordination du capital sexuel comme plus-value du corps, principalement dans l’effacement progressif des frontières entre le travail du sexe et le travail prétendument légitime, où le corps sert de surface sexuelle et où une présence est monétisée parce que sexualisée. Dans certains segments de l’industrie du sexe – principal lieu de production de cette forme de capital –, le travail du sexe se rapproche de l’emploi de service ordinaire. Cela signifie que l’exploitation directe et l’aliénation du travail deviennent moins problématiques pour les travailleuses et travailleurs du sexe concernés. »
Le Capital sexuel, Dana KAPLAN et Eva ILLOUZ, traduit de l’anglais pas Charlotte Matoussowsky, Seuil, 160 pages, 17,90 euros