Un premier roman d’une grande sensualité où jamais l’intime n’a été aussi politique.
« Et toi, tu viens d’où ? » Cette question qui ne l’a jamais posée ? Qui ne l’a jamais entendue ? Cependant, elle ne sonne pas pareille en fonction de la bouche qui la prononce et, surtout, des oreilles qui la reçoivent… Tout le monde n’a pas comme moi « la chance » d’être blonde aux yeux bleus…
C’est le cas par exemple de Luna, la narratrice du roman d’Anouk Schavelzon, dont la chevelure en crinière n’en finit plus d’attirer les regards et, pire, les chuchotements d’un homme sur le dance-floor incandescent d’une boîte de nuit. « Tes cheveux ils viennent d’où ». Une phrase d’apparence anodine mais qui en dit long sur les désirs sexualisant des hommes, sur les assignations identitaires, sur l’impossibilité de coïncider parfaitement avec qui l’on est et ce que l’on désire.
Le bleu n’abîme pas pose bien plus la question de savoir si l’on doit être réduit·e aux désirs des autres pour exister que celle de l’identité, question vaine tant cette dernière est changeante, mouvante, interdépendante. Mais c’est justement en se jouant du désir fantasmé masculin qu’Anouk Schavelzon parvient, on ne peut mieux, à célébrer le métissage des identités, à chanter la couleur bleue qui n’abîme pas parce qu’elle n’est ni blanche ni noire. Un premier roman manifeste aussi hybride et insaisissable que le métissage qu’il revendique puisqu’Anouk Schavelzon ne s’interdit pas de piocher autant du côté de la poésie que du chant. Une prose-éthique que l’on aimerait prophétique.
Anouk Schavelzon, Le bleu n’abîme pas, sortie le 19 août 2024, Paris, Seuil, coll. Fiction et Cie, 240 p., 19,50 euros.
Visuel : © Couverture du livre