« Le Barman du Ritz » de Philippe Collin : un cocktail classique bien exécuté

L’occupation vue par le Barman du Ritz

Né en Autriche, passé par les États-Unis et arrivé derrière le bar du Ritz après avoir servi sur le Front de la Première Guerre mondiale, Frank Meier y a côtoyé la lost generation et le tout Paris. Lorsque les nazis prennent Paris, il est secondé de deux barmen, dans un Palace où vivent à l’année des figures comme Coco Chanel, et où la directrice historique se tire dans les pattes avec ses directeurs. La vieille et puissante veuve Ritz, Marie-Louise, déteste notamment la femme d’un de ses directeurs, Blanche Auzello. Frank, lui, a la cinquantaine bien tapée, aime passionnément son travail, s’inquiète à peine pour son fils qu’il n’a pas vu depuis longtemps et lutte contre les sentiments passionnée que lui inspirent Blanche, aussi belle et courageuse que droguée. The show must go on, et l’hospitalité n’est pas un vain mot… lorsque arrivent les officiers allemands au Ritz. Goering y installe ses appartements en faisant venir des meubles de Versailles et Otto von Stülpnagel, le chef des forces d’occupation allemandes en France, est ravi d’y retrouver Frank à qui il fait dédicacer son livre de cocktails. Le barman est missionné pour faire revenir, via son ami Sacha Guitry, la vie intellectuelle parisienne dans un Palace qui ne semble pas connaître le rationnement. Quant à Coco Chanel, elle s’y pavane avec son amant allemand… De champagne millésimé en martini dry, les jours se suivent et ne se ressemblent pas dans le lieu où les invités et le personnel sont plus complexes qu’on pourrait l’imaginer.

Une recette traditionnelle pour un bestseller

Inscrire une fiction dans les eaux troubles de l’Occupation, en ajoutant un soupçon de people et de grands noms et de belles références au luxe à la française… quel boulevard haussmannien pour un best-seller.  Pour ce qui est de trouver son public, Philippe Collin touche juste. Et à force de ne pas lâcher son livre et ses personnages (avec une petite tendresse pour l’écrivain flegmatique, Ernt Jünger), on imagine déjà son adaptation en série, tel Un Village français ou The Restaurant. Et de fait, le contrat est parfaitement rempli : le personnage de Frank ne nous cache rien de ses questionnements et ses intuitions, ni de ses recettes pour jauger les gens, et la petite histoire se termine avec la grande, à la Libération de Paris, et à l’épuration, que l’auteur connaît bien puisqu’il y a consacré son travail de maîtrise.

Un miroir sur le chemin ?

Par-delà les querelles d’historiens qui reprochent certaines approximations à l’auteur du Barman du Ritz, ce qui est le plus troublant à la lecture du livre est la manière dont il nous flatte, en résonance avec aujourd’hui. Alors que nous sommes toutes et tous posé la question « qu’aurions-nous fait ? », aujourd’hui, plus que jamais depuis lors peut-être, cette question se pose de manière très précise. Dans un contexte très différent, certes, mais néanmoins, c’est avec un point de Godwin que joue le roman. Et que faire quand on voit Franck se planquer et argumente ses bonnes raisons individualistes et sociales de le faire ? Et où la seule vraie figure de résistante est droguée, bravache, très légère et un peu pimbêche ? À lire en réfléchissant, pour apprécier à la fois la formule magique du cocktail, sans toutefois nous laisser imposer le reflet qu’il nous tend.