Les Empouses sont des créatures fantastiques de la mythologie grecque qui prennent diverses formes pour séduire les hommes et les conduire à leur perte. Dans le roman d’Olga Takarczuk, elles hantent le sanatorium où se soignent des messieurs très misogynes.
Venant de Lwow en Galicie, Myeczyslaw Wojnicz arrive au sanatorium de Gobersdorf en Haute Silésie. Nous sommes en 1912, la Silésie est encore prussienne. L’endroit que découvre le jeune étudiant est très beau: la petite ville est coquette, entourée de montagnes boisées et la pension où il est accueilli agréable. Avec les autres malades, de longues discussions s’élaborent mais elles se terminent toujours autour des femmes…. Il faut dire que la misogynie fait l’unanimité! Des discussions souvent arrosées, avec la «Schärmerei», la liqueur noire très appréciée des curistes. Myeczyslaw se lie d’amitié avec Mr August un éminent professeur, avec Thilo un étudiant berlinois et il est séduit par la «femme au large chapeau». Mais les empouses sont là: si elles disparaissent entre les lattes du plancher, elles sont au courant de tout, en particulier des choses étranges. Comme la mort inexpliquée de la femme du directeur. Des histoires de sorcières courent dans la vallée et dans la montagne. La vie semble se dérouler lentement, confortablement, mais la mort rode à Gobersdorf, des rumeurs circulent sur la disparition d’hommes jeunes dans la montagne. La fin du roman est surprenante mais nous sommes prévenus: «Nous les empouses nous sommes là de tous les temps»….
Olga Takarczuk est prix Nobel de littérature 2018. Elle publie Le Banquet des Empouses 100 ans après La Montagne Magique de Thomas Mann. Le roman d’Olga Takarczuk y fait penser par le lieu -un sanatorium entouré de montagnes et à l’écart du monde- et par l’époque (1912). Mais aussi par les grandes discussions philosophiques entre les patients. Le style d’Olga Takarsczuk est somptueux, poétique en particulier dans les descriptions de la nature qui sont de véritables tableaux. Elle crée une ambiance captivante, le lecteur a l’impression d’être là sans être vu… comme les empouses! Le personnage de Myeczyslaw Wojnicz est très attachant. Timide, réservé, ayant reçu une éducation austère, il est «proustien» par son extrême sensibilité, son attachement aux détails, son sens de la beauté, son évocation de l’enfance. La formation de psychologue de l’auteure pourrait expliquer la finesse de ses analyses psychologiques comme lorsqu’elle analyse l’élaboration des pensées ou l’éducation des jeunes garçons. Une éducation qui a été douloureuse pour Myeczyslaw Wojnicz qui l’avoue: «Être un homme c’est devenir hermétique à ce qui vous dérange. Voilà le secret». Le fantastique permet à Olga Takarsczuk d’explorer l’inconscient de ces messieurs, un inconscient envahi par la peur des femmes, une peur qui sera la source de leur malheur.
Comme Thomas Mann, elle décrit un monde un peu irréel, évanescent: «Ici on sombre dans un état étrange. Tout cela doit disparaître». Olga Tacarczuk nous offre un roman original, mystérieux nostalgique, attachant, en un mot séduisant.
Olga Tacarsyuk, Le Banquet des Empouses, traduit du polonais par Maryla Laurent, Éditions Noir sur Blanc, 336 pages, 23 Euros, sortie le 01 02 2024.
Visuel ©: couverture du livre, Éditions Noir sur Blanc