À près de soixante-dix ans d’écart, Manelle la grand-mère et Lina la petite fille ont séjourné à Tanger. Une ville qui va influencer de manière décisive leur existence.
L’Autre Part, l’ailleurs c’est la ville de Tanger. Tanger où Manelle, Mané pour sa petite fille, va passer plusieurs mois en 1953. Elle avait tout juste vingt ans et son jeune frère venait de mourir. La ville lui paraît d’abord insaisissable mais elle est vite fascinée par la médina, la mer, le vent, la lumière, les odeurs. Elle se lie d’amitié avec Nour et écoute attentivement Marzouk, le conteur de la médina. Tanger c’est aussi l’ailleurs pour Lina, sa petite fille. Elle ne prend conscience du passé marocain de sa Mané qu’après son décès. Elle découvre un cahier, des cartes postales, et une photographie polaroid avec une inscription : «Manelle et Tahir», Tanger, 1953». Elle décide de partir à Tanger sur les traces de sa grand-mère. Elle découvre un autre monde mais aussi l’autre vie de Manelle. Après son départ brutal, inexpliqué de Tanger, Manelle s’est rapidement mariée avec Georges son ami d’enfance et est devenue institutrice. Lina enquête sur le séjour de Mané et fait la connaissance d’Alma, la responsable d’une association d’aide aux femmes marocaines victimes de violences. Elle se plaît à Tanger, c’est «comme si j’y étais déjà venue, comme si je reconnaissais la ville» . Comme si les pas de Lina étaient guidés par sa Grand-mère.
L’Autre Part est le premier roman, très réussi, de Morgane Az. L’écriture est poétique, le texte empreint de douceur, de tendresse. Il est nostalgique de l’enfance, de ses sensations, des étés où Lina passait de longs moments avec Mané, lorsque «la vie avait un goût de poésie et de fruits trop murs sous les bougainvilliers».
L’Autre Part est un roman sur l’absence, le deuil, la séparation. Le décès de sa grand-mère est un choc pour Lina qui «sans sa Mané ne sait pas». Elle ne peut plus peindre. Pour Manelle c’est d’abord le deuil de son frère puis l’absence de Tahir après son retour en France. Les lettres de Tahir ne lui parviendrons jamais. Le lecteur découvre peu à peu un amour qui sera occulté puis deviendra un secret de famille.
La relation entre Mané et Lina est magnifique, émouvante. Sa Mané lui a appris à peindre les aquarelles. Pour l’endormir, elle lui parlait d’un oiseau mystérieux, réfugié dans le ciel de Tanger. Un oiseau qui aurait été une jeune fille échappée d’un bal dans un costume de plumes.
Le contexte historique est abordé dans le roman. En 1953 Tanger est une ville sous statut international. Pour les européens, tout y est permis, mais ils côtoient plus qu’ils ne vivent avec les Marocains. Les velléités d’indépendance s’affirment, le protectorat commence à être contesté. Les relations se tendent entre les européens et les Marocains, la méfiance est réciproque. Pour nourrir le renouveau de l’identité marocaine, Nour écrit les contes et légendes oraux de la Médina dans ce qui deviendra le Manifeste des femmes de Tanger.
Enfin il y a Tanger, «la ville où la lumière côtoie la nuit » . Le lecteur sera sensible à sa magie. Comme il aimera la douceur poétique de ce roman.
Morgane Az, L’Autre Part, Plon, 272 pages, 21 Euros, sortie le 24 08 2023