« L’Art du vertige » de Serge Lehman : Science-fiction, tentative de définition

À l’été 2021, Le Monde publiait en six épisodes une enquête sur la postérité d’un livre peu connu, mais admiré par tous ses lecteurs : Le Mont Analogue, signé René Daumal, paru en 1952. Dans cette série intitulée « Sur la piste du Mont Analogue », le journal revenait sur la genèse de l’œuvre, son adaptation cinématographique par Alejandro Jodorowsky (La Montagne sacrée, 1973) et, surtout, sur ses multiples influences et ses fidèles défenseurs. Dans sa préface à L’Art du vertige, Serge Lehman avoue justement toute son admiration pour l’unique roman de René Daumal, et le délire qui a rapidement suivi le culte de l’œuvre (« Je ne savais plus exactement ce que je cherchais, mais le sentiment de dérive et d’exploration était une fin en soi. »).

À la lecture des textes réunis dans ce recueil, on sent à quel point Serge Lehman aime la science-fiction, et particulièrement la SF française. Si Le Mont Analogue semble constituer l’un des…monts de la SF française, certains titres ne sont pas en reste. L’auteur de F.A.U.S.T et de Metropolis a beau s’être éloigné de la fiction littéraire, son amour pour le genre est lui bel et bien resté, notamment via la bande dessinée. Les différents textes de L’Art du vertige datent donc un peu (le texte le plus récent remonte à 2012), mais les réflexions qu’ils portent n’ont aucunement vieillies.

« La relation particulière de la science-fiction aux images, la nécessité d’une histoire française du genre, sa nature mythologique, ses contenus métaphysiques latents » font partie des thèmes abordés tout au long de ces textes. Selon Lehman, la science-fiction serait « l’expérience subjective du saisissement ou du vertige qui se produit dans, on passe, au sens propre, de l’autre côté du miroir ; quand on tombe dans l’image ». D’où l’importance des dessins, des illustrations, des affiches de films dans l’imaginaire des adorateurs de SF : la confrontation à l’image doit susciter le vertige de ce qui peut avoir lieu. Au-delà de l’importance de l’image, Serge Lehman met également l’accent sur l’usage particulier de la métaphore par les auteurs de science-fiction. Si celle-ci pourrait être considérée comme un détournement dans la littérature classique, elle est à prendre au pied de la lettre dans les écrits de science-fiction qui traitent « les métaphores comme situations ou objets concrets ».

Certains textes sont ardus, d’autres plus abordables. Certains obscurs et peut-être un peu tirés par les cheveux (« Par-delà le vortex » sur la réification des métaphores), d’autres plus attrayants (« Hypermondes perdus »). Il est particulièrement intéressant de se plonger dans L’Art du vertige, stylo à la main, pour relever les nombreux titres sortis du chapeau par Serge Lehman. Si ce dernier invoque bien sûr Wells, Dick, Jules Verne, il sait aussi citer Maurice Renard, J.-H. Rosny aîné, ou encore Jean Ray. Deux décennies de réflexions sur la science-fiction, autant dire une somme tant le sujet est malheureusement si peu traité.