Livres

« L’après littérature » et « Irréfutable essai de successologie » : Deux livres de boomers ?

par Julien Coquet
12.05.2024

La parution en poche de L’après littérature d’Alain Finkielkraut et d’Irréfutable essai de successologie de Lydie Salvayre nous a considérablement interrogées : peut-on parler de littérature sans parler d’un temps béni révolu, et donc sans passer pour un boomer ?

Irréfutable essai de successologie de Lydie Salvayre : Réussir à tout prix

Dans cette foire d’empoigne permanente, la guerre de chacun contre chacun est quotidienne. De là, comment se démarquer et gagner cette lutte ? Obtenir le succès à tout prix, et peu importe les moyens, voilà ce que Lydie Salvayre se met à étudier dans son drôle d’essai qu’est Irréfutable essai de successologie. Ce dernier terme, un « art naissant […] qu’autrefois l’on désignait avec mépris sous le nom d’arrivisme », conduit l’auteure à se pencher sur les diverses variétés d’écrivains, les critiques littéraires, l’art de paraître, les réseaux sociaux, etc. Avec une bonne dose d’humour, des maximes à la Chamfort sont délivrées en gras : « Il est devenu, aujourd’hui, tout à fait superflu de lire » ou encore « Le succès est l’adaptation d’un esprit à la médiocrité nationale ». Si on sourit beaucoup au début, on se lasse par la suite d’un livre qui finalement progresse peu, et qui a quelques déplaisantes pensées de Boomer (le passage sur la Bookstagrammeuse !).

L’après littérature d’Alain Finkielkraut : Ok boomer ?

On connaît le polémiste sur les plateaux télé, mais il faut également lire Alain Finkielkraut pour mieux connaitre sa pensée, ou plutôt ses opinions. Malheureusement, le personnage médiatique ne diffère guère de l’écrivain. Certaines idées sont bien trouvées, et nous enlèvent nos lunettes de gauchistes pour nous faire apparaître un fait de société sous un nouvel angle (le wokisme, l’anti-racisme, la lutte contre les discriminations…). A la lecture de certains passages, on se prend à penser « Et s’il avait raison, et nous tort ? ». Le problème est que Finkielkraut ne va pas bien loin dans son raisonnement, et se contente de balancer les jugements qui confirmeraient un effondrement de notre civilisation. Le philosophe-essayiste abuse également des citations pour appuyer son propos, mais l’accumulation de celles-ci tient plus du name-dropping. Le livre regorge de phrases qui hérissent les poils, caricaturant le propos qui aurait mérité à être nuancé : « l’incendie de Notre-Dame n’est ni un attentat ni un accident, c’est un suicide. Epuisée par le surtourisme, déprimée par les milliards de selfies dont elle constitue l’arrière-fond et encerclée par la laideur, la cathédrale a voulu mettre fin à ses jours » ou encore « Le vert des Vers n’est plus la couleur de la nature, mais celle des mobilités douces, des mosquées immenses et de l’écriture inclusive ». Reste que Finkielkraut sait très bien parler de Philip Roth et de Milan Kundera, heureusement.

Les deux livres traitent donc de sujets assez différents, du succès pour la lauréate du Prix Goncourt, et de l’état de notre société pour Finkielkraut, tous deux parlant largement de littérature. Si L’après littérature aborde d’intéressantes questions, les conclusions auxquelles parvient l’auteur nous semblent quelque peu datées, tandis que Lydie Salvayre véhicule à l’insu de son plein gré quelques clichés malvenus.

Irréfutable essai de successologie, Lydie SALVAYRE, Points, 168 pages, 6,90 €

L’après littérature, Alain FINKIELKRAUT, Gallimard, Folio, 240 pages, 8,90 €

Illustration : (C) Couverture de Irréfutable essai de successologie

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