Roman émouvant sur la difficulté d’être homosexuel et handicapé, ce texte d’un auteur Brésilien aujourd’hui décédé est récemment paru aux éditions Denoël.
A la fin des années 1970, dans le quartier de Queim, à Rio de Janeiro, la famille du jeune Camilo accueille Cosme. A treize ans, le premier est blanc, handicapé par une jambe infirme, né dans une famille bourgeoise (père médecin, mère au foyer). Le second se retrouve parachuté dans cette famille, on ne sait vraiment trop pourquoi, un jour introduit par le père de Camilo. Cosme, un peu plus vieux, vient des rues de la grande ville brésilienne, devenant rapidement l’objet d’une fascination pour Camilo. S’émancipant du silence et de sa timidité, Camilo apprend à se faire des amis, à jouer dans la rue et à apprécier les moments qu’il passe avec Cosme. Les deux adolescents se rapprochent pour finalement s’aimer. Mais leur amour sera stoppé net au bout de deux semaines par le meurtre de Cosme.
L’Amour des hommes singuliers, découpé en courts chapitres, fait alterner le récit des années 1970 et la vie de Camilo, devenu quinquagénaire, encore hanté par son premier amour. Handicapé, Camilo souffre tout du long de sa vie, plus spectateur qu’acteur : « Je me suis souvent dit que j’étais venu au monde non pas pour y être, mais pour avoir été, avoir existé, avoir fait. » Le récit fait l’état des lieux d’une fétichisation du premier amour, Camilo accumulant les souvenirs et les objets de Cosme, effrayé à l’idée que cette histoire puisse disparaître. Victor Heringer démontre ainsi que le premier amour marque pour la vie, « le seul. Les années, le sexe et les petites constructions (enfants, accès à la propriété, compte épargne) nous font accepter plus facilement les copies délavées qu’on prétend aimer tout au long de notre vie, pourtant la tombe ouverte qui nous attend parle de cette absence. »
Marqué par la douleur et la tristesse (« Je suis devenu un adulte aigri, inutile et sale. »), et portant finalement peu sur l’homophobie, le texte impressionne par sa langue et sa construction. Parsemé de néologisme (« haharire »), L’Amour des hommes singuliers est égrené de photographies et autres documents graphiques – dessins d’enfants, listes, bulletin scolaire, acte de naissance. Raconté bien des années plus tard, le récit de cet amour tragique n’en paraît que plus nostalgique.
L’Amour des hommes singuliers, Victor HERINGER, traduit du portugais (Brésil) par Hélène Melo, Denoël, 208 pages, 20 €
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