« L’affaire Emmett Till » de Jean-Marie Pottier : L’affaire de trop

Schématiquement, on pourrait dire qu’il existe deux grands types de faits divers. Le premier relèverait de l’exceptionnel et de l’inattendu, dont les caractéristiques seraient un meurtre particulièrement horrible, une enquête labyrinthique et un coupable diaboliquement introuvable. De l’autre côté se trouverait un fait divers tristement banal, mais qui dit quelque chose du monde, de la société et de l’époque dans laquelle il se produit. L’affaire Emmett Till, hautement emblématique aux États-Unis, se conforme clairement à cette seconde catégorie.

Fin août 1955, le cadavre d’Emmett Till est retrouvé dans un piètre état. Le corps est resté plusieurs jours dans une rivière, et on peine à reconnaître l’adolescent de 14 ans qu’il fut. Dans l’État du Mississippi, les deux suspects principaux sont vite identifiés : quelques jours plus tôt, Roy Briant et J. W. Milam sont venus kidnapper le jeune Emmett qui, originaire de Chicago, passait quelques jours de vacances chez sa famille. Ce qu’on reproche au jeune Noir ? D’avoir importuné la femme de Roy Briant, Carolyn Bryant, qu’Emmett Till aurait sifflé et agrippé dans la boutique gérée par Carolyn. Le kidnapping d’Emmet par les deux Blancs a-t-il pu conduire à la torture et au meurtre d’un enfant de 14 ans ? C’est ce sur quoi doit se prononcer un jury composé de 12 hommes blancs en septembre 1955. Verdict : Roy Briant et J. W. Milam sont déclarés non coupables.

Quiconque cherchera des rebondissements dans L’affaire Emmett Till sera déçu. Loin d’une enquête comme celle de L’Inconnu de Cleveland (le troisième titre de la collection « True Crime »), l’affaire se déroule classiquement : rapide enquête, arrestation des coupables et jugement de ceux-ci. Si l’affaire Till recèle des zones d’ombre, c’est avant tout la portée politique de celle-ci qui intéresse. Tout au long du livre, on croise des personnalités plus ou moins concernées : William Faulkner, Rosa Parks, Martin Luther King, Barack Obama, Joe Biden… On en apprend longuement sur les États-Unis, sur un pays qui a gardé certaines manières de faire du temps de l’esclavage, sur le système judiciaire (si Roy Briant et J. W. Milan finissent par avouer leur crime à un journal, ils ne peuvent être rejugés par l’État du Mississippi). On frémit à la lecture de certains faits, qui sont malheureusement encore d’actualité, comme ces milliers de dollars de dons qui pleuvent de toutes les contrées des États-Unis pour payer la défense des deux accusés.

La collection « True Crime », dont c’est le cinquième titre, a pour objectif de raconter les États-Unis à travers leurs grandes affaires criminelles. Et quoi de mieux que cette affaire Emmett Till pour illustrer le racisme inhérent au pays, et particulièrement au Mississippi, dans les années 1950 ? Car l’affaire dit beaucoup du mépris que les Blancs portent envers les Noirs, de ces lieux ségrégués, de cette répartition du travail (les Noirs travaillent dans les champs de coton détenus par les propriétaires blancs). C’est en cela que l’affaire Emmett Till est exemplaire, c’est qu’elle donne l’exemple sur ce que signifiait vivre aux États-Unis à cette époque. Louons enfin les qualités littéraires de Jean-Marie Pottier qui, malgré la multitude de personnes concernées de près ou de loin, arrive à nous guider sans nous perdre de 1955 à 2023.

« A quel moment une affaire qui n’a rien d’isolée cesse d’être celle de plus pour devenir celle de trop et déclenche, de manière consciente ou non, le passage à l’action ? Il reste des coïncidences de dates, des moments où l’histoire accélère. Quatre jours après la visite du docteur Howard dans l’Alabama, Rosa Parks refuse de céder sa place dans le bus à un passager blanc et finit au poste. Encore quatre jours et, le 5 décembre 1955, Martin Luther King appelle ses concitoyens à l’action. Cent jours pile après la mort d’Emmett Till, le boycott des bus de Montgomery, moment fondateur du mouvement des droits civiques, débute officiellement. »