Un livre qui ne console pas, qui ne caresse pas, mais qui oblige à regarder droit dans l’ombre.
Trois femmes. Trois destins broyés par la main de celui qui aurait dû aimer. Trois corps pris au piège de cette mécanique que l’on connaît trop bien mais que l’on refuse encore de nommer : le féminicide conjugal. Dans La Nuit au cœur, Nathacha Appanah tisse leurs voix comme autant de fragments de ténèbres. Elle écrit avec ce ton clinique, presque chirurgical, qui refuse le pathos mais restitue la violence nue. On pense à Tropique de la violence pour la crudité, à La nuit par-dessus le toit pour la poésie contenue. Mais ici, la matière brûle davantage encore : elle est faite de sang, de coups et de silence.
Impossible de dire que ce livre est un coup de cœur. C’est autre chose. Un coup de poing, un coup de gerbe même, tant la lecture donne parfois la nausée. Mais Appanah réussit l’impossible : écrire l’horreur sans voyeurisme, faire entendre les battements de ces femmes sans les réduire à des victimes. Elle ne nous épargne rien, et pourtant elle rend leur dignité intacte. C’est sans doute ce mélange de grâce et de dureté qui nous percute : on lit, on tremble, on se souvient de nos propres histoires d’emprise, des silences familiaux, des zones d’ombre que l’on croyait enterrées. La littérature ne sauvera pas tout, elle ne justifiera jamais l’injustifiable, mais elle peut donner voix à celles qui ne sont plus là. Et c’est déjà beaucoup. La nuit au cœur est de ces livres qui dérangent, qui empêchent de dormir, mais qui laissent aussi cette conviction âpre : écrire, c’est refuser que la nuit ait le dernier mot.
Nathacha Appanah, La nuit au cœur, sortie le 21 août 2025, Gallimard, 288 p., 21 euros.
Visuel : © Couverture du livre