Après « La familia grande », Camille Kouchner publie « Immortels », son premier roman. C’est un livre intimiste, un éloge de l’enfance et de l’amour fraternel.
« Quand l’anesthésiste m’a demandé de me réveiller, j’ai refusé net. Le cancer n’est rien à côté du chagrin qui dévale ». Ben est mort. Les lumières vertes et rouges clignotent dans cette chambre d’hôpital, comme le font les souvenirs. Dans la douleur d’une nuit post- opératoire, K revoit son enfance, sa jeunesse, sa vie.
Ben et moi sommes nés en 1975 à deux mois d’intervalle. Nos pères ont été peu présents, peu aimants. Ma mère Béa était reporter de guerre, nous avons été élevés surtout par Suzanne, la mère de Ben. La symbiose des deux enfants est symbolisée par leur chêne sur lequel ils aimaient grimper, par des gestes de tendresse qui leur étaient propres : « il me caressait sur mon œil droit du bout de ses doigts ». Cette paix, cette joie pure ont commencé à se fissurer au collège. « Ben était beau, je l’admirais », mais il pouvait aussi être grossier, humiliant… L’adolescence est catastrophique. K a été violée, abusée par Hugh son beau-frère, apprenant alors le dégoût de son corps : « le cancer a commencé là ». Ultime trahison, Ben va s’abîmer dans les addictions.
« Immortels » est un livre très fort, sur le fond comme sur la forme. Le style est rythmé, haletant au début, les formules percutantes nombreuses. Le récit parallèle de sa douloureuse nuit d’hôpital et de ses souvenirs d’enfance puis de jeunesse donne une dimension tragique supplémentaire au texte.
« Cellule mère, divisions, mutations ». Ces mots que K, dans un demi sommeil voit sur le mur de sa chambre, sont les mots clés du roman. Ils s’appliquent au cancer, mais aussi à sa relation avec Ben. Ils forment les titres des chapitres du livre. Le dernier est « amputation », comme l’amputation mammaire mais aussi comme la séparation définitive avec Ben, alors que « nous ne formions qu’un seul corps ». Camille Kouchner a écrit un roman sur l’enfance, sur son enfance magnifiée par un fantasme de fusion avec Ben, mais tourmentée, déjà, par une angoisse de séparation. Elle y dénonce aussi les violences sexuelles. Elle admire le militantisme de sa mère, mais lui reproche de ne pas l’avoir protégée. Elle regrette des normes sociales et éducatives encore trop genrées.
« Cellule mère, divisions, mutations et …points de rencontre ». Ce mot aussi apparaissait à K, sur le mur, face à son lit de souffrance. En hommage à ses dernières retrouvailles avec Ben. Car ses souvenirs avec Ben sont son ultime refuge, sa source de force et de courage. Car « Ben tu étais mon frère, ma moitié, mieux que moi-même ». Nos souvenirs sont immortels.
Camille Kouchner, Immortels, Seuil, 208 pages, 20 Euros, sortie le 4 avril 2025.
Visuel : © couverture du livre, éditions Seuil