« La Combinatoire straight » : un ouvrage convaincant, riche en exemples et en réflexions

Alliances et « anti-alliances »

Des enfants issu·es de mariages hétérosexuels normés, mais aussi d’adultères, de viols ou de personnes en situation de prostitution : Jules Falquet montre que ces dernières naissances, loin d’être des « accidents » de notre société, sont en réalité des éléments essentiels de ce qu’elle nomme « combinatoire straight ». « Combinatoire », parce qu’elles apparaissent comme certaines des multiples combinaisons permises par les alliances de la société occidentale. Impensées, peut-être, inessentielles, sûrement pas : ces naissances en-dehors des mariages prototypiques – qu’elle appelle « anti-alliances » – participent de la production d’une « armée de réserve » (l’emprunt à Marx est le fait de la philosophe) venant grossir les rangs des laissé·es pour compte de la société.

Comme l’annonce le sous-titre « Colonialisme, violences sexuelles et Bâtard·es du capital », l’objet de Jules Falquet est en effet de montrer comment cette combinatoire s’inscrit dans le fonctionnement de l’économie capitaliste et colonialiste. Elle puise ainsi bon nombre de ses exemples dans l’histoire et le présent de l’Amérique du Sud et des Caraïbes, qu’elle connaît bien (après avoir soutenu une thèse sur le féminisme au Salvador, elle poursuit ses recherches sur les dominations de genre en Amérique latine à l’Université Paris 8). Surtout, elle retrace, en s’appuyant sur une imposante bibliographie anthropologique, l’histoire des différents types d’alliances possibles, en rappelant que le modèle patrilinéaire et virilocal que nous connaissons est loin d’être universel. Son expansion serait donc intrinsèquement liée à l’expansion coloniale.

Une imposante bibliographie anthropologique

La Combinatoire straight n’est cependant pas une simple histoire de la propagation du modèle patriarcal sur la planète : son autrice y étudie avec soin les différentes pensées anthropologiques depuis les travaux de Morgan et d’Engels, en passant bien entendu par Levi-Strauss ou, plus près de nous, Colette Guillaumin et Maria Lugones, qu’elle a traduite en français. Ces deux dernières, qui l’ont très fortement influencée, permettent d’articuler patriarcat et capitalisme (pour la première) ou patriarcat et colonialisme (pour la seconde). L’originalité du travail de Jules Falquet est toutefois, on l’aura compris, de montrer que les alliances non prototypiques, bien qu’invisibilisées, sont en réalité essentielles à la survie du plantationocène.

Elle nous livre ainsi un ouvrage convaincant, riche en exemples et en réflexions, bien construit et, de ce fait, aisé à suivre, malgré la pléthore de notions qui y sont traitées ou discutées. Le seul regret est d’ailleurs lié à cette abondance d’exemples et de références : l’on passe rapidement, pour des raisons évidentes de place, de l’un·e à l’autre, quand nous aurions aimé voir certain·es davantage développé·es. Peut-être s’agit-il là d’une réussite : avoir suscité la curiosité à l’égard de ces modèles familiaux que l’on ignorait.