Avec «Houris» le journaliste et écrivain franco-algérien Kamel Daoud nous propose un roman choc sur la guerre civile algérienne et une réflexion sur la mémoire collective après ces événements dramatiques.
«Je m’appelle Aube. Aube est le nom de ma deuxième vie. Car à cinq ans j’ai failli mourir, égorgée par les islamistes descendus de la montagne». C’était le 31 décembre 1999, le dernier jour de la guerre civile qui ensanglanta l’Algérie pendant une décennie. Depuis, Aube porte une canule masquée par un foulard et affiche son «sourire abominable», la cicatrice du couteau de son agresseur. Un «sourire» qui l’a transformé en un reproche vivant, en un livre d’histoire.
Aube vit à Oran avec sa mère avocate. Elle tient face à «la mosquée du cercueil» le salon de coiffure «Shérazade». Quasi muette pour le monde extérieur, elle a développé une langue intérieure, aiguisée, révoltée. Enceinte, elle parle à sa fille qu’elle appelle Houri, en référence aux vierges du paradis. Elle ne sait pas si elle va poursuivre sa grossesse, «car les femmes ne peuvent pas vivre dans ce pays». Aube est lassée par les omniprésentes célébrations de la guerre de libération alors que le silence est total au sujet de sa guerre, celle de la décennie noire. Depuis l’amnistie de 2005 la loi impose l’oubli.
Alors elle décide de retourner à «l’endroit mort», la ferme de son enfance, là où elle a failli mourir. Une route périlleuse. Elle rencontrera Aïssa qui avait été grièvement blessé, sur un barrage, par les islamistes. Il est empêché de témoigner par les autorités. Pour lui «Aube est revenue d’entre les morts pour témoigner». Elle recueillera le terrible témoignage d’Hamra enlevée et mariée deux fois de force par les maquisards. Aube va vivre une journée dramatique mais décisive, «une journée qui durera mille ans», une journée dédiée aux mille morts du 31 décembre 1999.
Ce livre est un cri, le livre que Kamel Daoud ne pouvait pas écrire en Algérie. Le style est percutant, mais enrichi de nombreuses métaphores poétiques. Il illustre la force du roman pour témoigner des drames historiques. Le personnage d’Aube, par son histoire, par ses blessures, frappe l’imagination du lecteur. Ses cordes vocales sectionnées sont le symbole du bâillonnement du pays alors que sa voix intérieure pourrait représenter la littérature. La littérature, l’ennemi des islamistes qui ont débuté leur combat, par une guerre contre les livres.
Le roman décrit l’emprise de la religion sur la société algérienne. Kamel Daoud s’insurge contre une religion qui empêche de vivre. Un cercueil vide trône devant la mosquée du quartier en face du salon de coiffure d’Aube. La promesse du paradis semble avoir remplacé celle du développement économique. Et la fête de l’Aïd prend pour le moins une dimension ambiguë…
«L’oubli c’est la miséricorde de Dieu mais c’est aussi l’injustice des hommes» disait Hamra. «Houris» est un livre sur la mémoire et l’oubli. La loi d’amnistie et de réconciliation nationale de 2005 était peut être nécessaire, mais elle a ordonné l’oubli de cette guerre dont on ignore encore les buts. Il est interdit de parler des crimes impunis et les terroristes sont étonnement devenus des ex-cuisiniers. Les traces de cette guerre ont été supprimées, comme les branches de palmiers effaçaient les traces des maquisards lors de la guerre de libération. Alors le personnage d’Aube prend toute sa force car «par le trou de sa gorge les centaines de milliers de victimes toisent les islamistes».
«Houris» est un texte très fort, saisissant. Le talent de romancier, la force de conviction de Kamel Daoud sont au service d’un but indispensable: faire rentrer la décennie noire dans l’histoire de l’Algérie.
Kamel Daoud, Houris, Gallimard, 416 pages, 23 Euros, sortie le 15 08 2024
Visuel(c): couverture du livre, éditions Gallimard