Il laisse derrière lui une œuvre monumentale ; celui qui a réussi à arrêter ses études et pourtant devenir directeur de la NRF, retour sur le mélomane et écrivain du Grand-Est.
Jacques Réda est un homme que l’on ne peut pas ranger dans une simple case comme « écrivain » ou « poète » ; il grandit en Meurthe-et-Moselle, arrête ses études de droit à Paris et se lance tant bien que mal dans ce qu’il aime, écrire. Il se distingue par une écriture sensible, qui se nourrit du quotidien et du banal pour en faire quelque chose de beau et délicat. Sa plume est comparée à un flâneur qui se perd dans des paysages urbains et ruraux, avec des ouvrages comme Amen (Prix Max Jacob 1969 ) ou Les Ruines de Paris. Ce serait faire outrage à son humilité que de citer la liste de prix ou de reconnaissances qu’il a reçu au cours de sa vie, comme le prix Goncourt de la poésie en 1999 ou le grand prix de la poésie et des gens de Lettres en 1999 pour l’ensemble de son œuvre.
Durant sa direction de la Nouvelle Revue Française entre 1987 et 1995, Jacques Réda a su préserver l’héritage prestigieux de cette institution tout en y insufflant une sensibilité poétique qui lui était propre. Avec discrétion et exigence, il a maintenu un équilibre entre la tradition et l’innovation, en honorant les grands noms du passé tout en ouvrant les portes à de nouvelles voix. Poète dans l’âme, Réda a redonné une place importante à la poésie au sein de la revue, renforçant son rôle comme espace de réflexion et d’expression littéraire.
Car il était aussi un grand passionné de musique, et surtout, de musique jazz. Plus qu’un passionné, il était théoricien, avec des ouvrages comme Le Grand Orchestre inspiré de Duke Ellington et Autobiographie du Jazz, c’est une référence française de l’étude du jazz. Chroniqueur pour Jazz Magazine, la musique n’a cessé de l’inspirer jusque dans ses poèmes, dans lesquels si on tend l’oreille, on peut presque entendre une rythmique new orleans. L’amour de Jacques Réda pour le jazz traversait toute son œuvre et imprégnait sa vision du monde. Il voyait dans le jazz une forme de liberté, un élan spontané qui résonnait avec son propre style poétique, fait d’improvisation maîtrisée et de rythmes intérieurs. Dans des essais comme L’improviste, Réda célébrait les grandes figures du jazz et la magie des instants musicaux éphémères, comparant cette musique à une promenade urbaine, où chaque note devient un fragment de vie. Le jazz, avec ses silences et ses envolées, était pour lui une métaphore du quotidien : une manière de capter l’éphémère, d’apprécier la beauté dans le mouvement des choses. Cette passion transcendait l’écriture et nourrissait sa manière de regarder le monde, toujours à la recherche d’une harmonie secrète.
En hommage à son départ aux prémices de l’automne, voici un poème qu’il lui a dédié.
L’Automne
Ah je le reconnais, c’est déjà le souffle d’automne
Errant, qui du fond des forêts propage son tonnerre
En silence et désempare les vergers trop lourds ;
Ce vent grave qui nous ressemble et parle notre langue
Où chante à mi-voix un désastre.
Offrons-lui le déclin
Des roses, le charroi d’odeurs qui verse lentement
Dans la vallée, et la strophe d’oiseaux qu’il dénoue
Au creux de la chaleur où nous avons dormi.
Ce soir,
Longtemps fermé dans son éclat, le ciel grandi se détache,
Entraînant l’horizon de sa voile qui penche ; et le bleu
Qui fut notre seuil coutumier s’éloigne à longues enjambées
Par les replis du val ouvert à la lecture de la pluie.
Jacques Réda
Photo : © Jean-Luc Bertini