Après OK CHAOS paru aux éditions lundimatin, Leïla Chaix publie son deuxième recueil aux éditions Le Sabot : Haïr le monde. En mêlant poèmes en prose et poèmes en vers, l’autrice puise dans les entrailles de son pessimisme et de son dégoût du monde pour les transformer en force d’action rebelle et militante.
Leïla Chaix se présente ainsi :
« Mon prénom signifie « la nuit » en arabe. C’est dire si j’étais destinée à être aux prises avec le versant sombre des choses, noyée dans les tréfonds boueux de mon esprit. La poésie c’est de la boue – être embourbée, vouloir voir le chaos du monde ».
D’emblée, le ton est donné : frontal et sans détours. S’adressant à ceux qui subissent les injustices et les abus, à ceux que le monde hait et qui haïssent ce monde en retour, les mots de l’autrice leur feront sûrement écho.
Leïla Chaix dresse un constat implacable : celui d’un monde rongé par les violences systémiques, les politiques autoritaristes et colonialistes, les désastres écologiques et l’injustice sociale. Trouver la beauté dans ce monde et regagner l’espoir d’un avenir en deviennent illusoires. L’autrice affronte. Et ce choix de regarder droit dans les yeux la laideur du monde, de refuser le mensonge poétique lui permet alors d’extraire une vérité brutale.
Elle décrit cette noirceur qu’elle perçoit, subit ou perpétue : « je ne suis pas coupable mais n’suis pas innocente ». Avec une clairvoyance prégnante, elle articule ses expériences intimes avec des questions d’éthique et de responsabilité, en évitant la bien-pensance. Face à la justesse des mots de l’autrice, les lecteur·ices se sentiront-i·els complices ? Résistant·es ? Spectateur·ices ?
Le langage, à vif, est traversé par l’intime autant que par le politique. Il résonne avec les enjeux contemporains et les tiraillements d’une génération ballottée entre urgence d’agir et sentiment d’impuissance. L’éco-anxiété ou encore la fatigue militante, loin d’être de simples états de lassitude, deviennent alors des outils de réflexion et de lucidité. Que faire de sa haine et de sa colère ? Si l’on est artiste ou militant·e, comment canaliser cette énergie sans la diluer dans les esthétiques policées ou les gestes militants convenus ?
C’est dans cet entrelacement de sentiments personnels et de réflexions collectives que s’inscrit le recueil, organisé en trois chapitres, tous construits autour de verbes d’action : « Enfouir », « Trahir » et « Jaillir ». Au-delà d’une structure, cette tripartition suit une logique de tensions plutôt que de résolution.
Si un pessimisme habite les pages, l’autrice ne sombre pas dans le fatalisme ou la résignation. À l’inverse, elle réveille une colère motrice et mobilisatrice chez les lecteur·ices. Haïr le monde, ici, ce n’est pas renoncer, c’est rester lucide, refuser l’oubli et la paralysie.
Leïla Chaix, Haïr Le Monde, éditions Le Sabot, avril 2025.
Visuel : ©Editions Le Sabot