Ce roman graphique a été réalisé, sous la direction de Marjane Satrapi par 17 dessinateurs, dont 4 Iraniens et par trois experts, respectivement politologue, journaliste et historien. Cet ouvrage vise à soutenir et faire comprendre la révolution des femmes iraniennes.
«Femme Vie Liberté», ce magnifique slogan est né au Kurdistan. Il a galvanisé les combattantes du Rojava, le Kurdistan syrien, dans leur lutte contre Daech. Il a été repris lors de l’enterrement de Mahsa Jina Amini. Cette jeune femme assassinée pour avoir «mal porté son voile» est devenue l’icône de la révolution des femmes iraniennes. Marjane Satrapi raconte, les mille précautions que doivent prendre les manifestants, la mobilisation dans les facultés et les lycées. Elle raconte l’espoir de vivre tous ensemble, y compris avec les exilés, un «Nourouz», le nouvel an iranien dans un Iran libre. Des chapitres sont consacrés à la répression et en particulier à la terrible prison d’Evin. A travers le personnage de Mr Jafari, un père de famille qui hésite à rejoindre le mouvement, les auteurs abordent la propagande du régime qui cherche à diviser et à apeurer les iraniens. Cet ouvrage est aussi un acte de résistance. Marjane Satrapi nous dresse brièvement le portrait des militants tués par le régime. La résistance c’est aussi «la femme bleue», arrêtée pour avoir assisté à un match de football, qui s’immolera par le feu pour ne pas retourner en prison. L’auteure nous présente des prisonniers politiques célèbres: l’avocate Nasrin et la militante féministe Narges Mohammadi qui vient de recevoir le prix Nobel de la paix.
A travers cet ouvrage Marjane Satrapi souhaite nous expliquer la situation iranienne dans sa complexité et manifester son soutien aux iraniens de l’intérieur. Deux objectifs atteints. Le rappel historique et les explications sur la structure du régime sont très didactiques. L’historien Abbas Milani rappelle la lutte «sisyphéenne» du peuple iranien pour la liberté. La lutte pour l’émancipation des femmes a commencé au début du vingtième siècle. Le rôle des femmes était notable dès la révolution de 1911.
Les dessins apportent une dimension esthétique et émotionnelle au livre. Les dessins sont très beaux comme le portrait de Masha Amini, cheveux rouges au vent, symbole éclatant de la liberté en marche. Le magnifique dessin réalisé par Shabnam Adiban montre des silhouettes dans l’obscurité entourant un feu. Une femme au centre jette son voile dans ce feu purificateur, symbole de vérité dans le zoroastrisme. Le dessin peut exprimer le défi comme cette jeune femme qui enlève fièrement, bravement son voile… en sortant de prison. Il peut être inquiétant comme celui qui montre les gardiens de la révolution sombres, menaçants, entourant le guide. Ils peuvent être effrayants comme cette femme baloutche prostrée après un viol, glaçants comme les portraits des jeunes hommes exécutés, accrochés au dessus de leurs pieds suspendus dans le vide. Glaçante aussi la bande dessinée qui montre la «torture blanche», on y voit un prisonnier isolé dans une pièce toute blanche éclairée par une lumière blanche jour et nuit.
Et après? Pour Marjane Satrapi, «l’inquiétude est majeure à court terme mais nous avons la certitude, malgré les embûches et les difficultés que l’avenir de l’Iran est un avenir libre». Un espoir malgré tout, «car une révolution féministe soutenue par les hommes c’est une première mondiale» L’espoir demeure car il est, depuis toujours, un élément de l’identité et de la culture iranienne.
Femme Vie Liberté, sous la direction de Marjane Satrapi, éditions de l’Iconoclaste, 271 pages, 32 Euros, sortie le 14 09 2023
Visuel(c): Marjane Satrapi