Alpiniste, documentariste, Bernard Germain est aussi un remarquable romancier. Au plus près des sensations, il nous plonge ici dans les vertiges de l’amour et du crime. D’un fait divers, il retient l’essence, l’épure.
Comment comprendre qu’un jeune couple, sportif, sain, ait basculé dans l’horreur, tuant des inconnus lors d’un hold-up ? Le jeune homme, Martin, est mort lors des faits, la jeune fille, Véro, est à présent jugée. Il y a du Simenon dans l’approche de Bernard Germain, qui scrute, reconstitue patiemment. L’histoire d’amour, absolue, fait progressivement dévisser le couple du monde réel. Comme enivrés par les hauteurs, ils perdent, à un moment, ce qui les rattache à la société. Véro suit Martin, qu’elle aime et admire en une sorte d’addiction, sans retour en arrière possible. Lui fait l’expérience du suicide d’un ami et sent tout ce qu’il y a de vain dans le combat pour exister dans un monde qui n’est pas fait pour les êtres qui visent trop haut. Rejoindre la blancheur neigeuse, se fondre dans les éléments, pour ne plus être déçus, ce serait une porte de sortie. Sans que l’on sache pourquoi, c’est une autre voie, brutale et prosaïque, que le couple va emprunter, perdant son innocence et se soustrayant aux lois des hommes. Dans sa cellule, Véro se mure dans le silence, bloc de glace ne voulant rien livrer de l’amour qui l’a consumée. Dans leur chambre, se trouvaient trois posters, Che Guevara, Gandhi et Johnny got his gun, film antimilitariste, où le jeune soldat broyé est totalement enfermé en lui-même, coupé du monde. C’est peut-être ce qu’ils ont ressenti et atteint, un point de non-retour, le grand blanc.
Un beau roman d’amour, qui est aussi une réflexion sociale fine sur les idéaux et les points de bascule et de radicalité de la jeunesse. Bernard Germain avait écrit une superbe anthologie des films liés à la montagne, Dico Vertigo (Paulsen, 2019) : dans sa construction syncopée, entre les cîmes et la cellule, ce roman a quelque chose de très cinématographique.
Extrait : « Il la gifle. Elle ouvre les yeux sans comprendre ce qu’elle voit. Une faille noire, un visage masqué, des lèvres de givre, un éclair, le vent blanc… Il la retient. Il la tient. Il tient à elle. Il lui donne la becquée : quelques noisettes restées au fond d’une poche et un glaçon à sucer. Lentement, elle revient à elle et puis elle revient à lui, elle était partie, elle revient. Il n’y a pas de train ! Elle est assise, là au bord du col, souriant à son ange gardien. » (p. 50)
Face nord du silence de Bernard Germain, La Fontaine de Siloé, 2024, 262 pages, 9€99.
visuel (c) couverture du livre