Nous sommes en 2045. Les États Unis d’Amérique n’existent plus. Depuis la violente sécession, douze ans auparavant, des états démocrates. La Confédération Unie, une dictature théocratique occupe le centre et le sud, la République Unie, qui se veut progressiste, réunit les côtes est et ouest.
Kentucky, Confédération Unie, le 6 Août 2045, cent ans jour pour jour après Hiroshima. Maxime, humoriste transsexuelle est immolée sur un bûcher en direct à la télévision. Elle est exécutée pour blasphème. La narratrice Sam Stengel, est policière, «au Bureau», les services secrets de la République unie. Maxime était son amie et son indic. Sam est chargée d’une mission périlleuse. Elle doit désamorcer, c’est à dire exécuter Caitlin Stengel, une cheffe de «l’agence», les services secrets de la confédération. Caitlin Stengel est sa demi sœur mais Sam ignorait jusqu’alors son existence. Sa mission la conduit en Zone Neutre, c’est à dire à Minneapolis, la ville coupée en deux par un mur qui sert de frontière. La ville de tous les dangers où foisonnent les espions, qui rappelle le Berlin de la guerre froide. Caitlin se trouve bien à la frontière, elle est coriace, déterminée. Sa mission conduit Sam, la peur au ventre, en zone neutre confédérée. De l’autre coté du mur, l’atmosphère de la ville est passéiste, désuète. La propagande religieuse est partout, oppressante. Le face à face entre les deux sœurs s’annonce redoutable.
Et c’est ainsi que nous vivrons est d’abord un roman d’espionnage sur fond de technologie omniprésente. Trahisons, rebondissements, changements d’identité, tout peut arriver à tout moment. L’ambiance est menaçante, captivante, tenant le lecteur en haleine. Le suspense est total. Le personnage de Samantha Stengel est impressionnant par son abnégation, sa détermination son sang froid mais aussi ses doutes ses regrets, sa solitude. L’espionne reste humaine.
Douglas Kennedy a écrit une fable politique remarquable. Les événements qui conduisent à la sécession nous paraissent familiers: la présidence Trump, la pandémie. Puis après la parenthèse Biden, des présidents Républicains de plus en plus conservateurs et extrémistes se succèdent. Le drame de Cleveland, un pogrom, précipitera la sécession. Une sécession violente qui se traduira par un demi million de morts et 45 millions de déplacés. La cruauté de la Confédération Unie est évidente dès le premier chapitre du livre consacré à l’exécution de Maxime. Elle est dirigée par douze apôtres! La répression politique et sexuelle est féroce. Elle fait irrésistiblement penser au roman de Margaret Atwood, «La servante écarlate». A coté, la République Unie est un paradis, sous surveillance. Elle est dirigée par Morgan Chadwick un millionnaire inventeur de la puce électronique implantable, derrière l’oreille. La République Unie a mené une politique sociale et culturelle ambitieuse éradiquant, la pauvreté et les discriminations . Mais c’est aussi une république Orwellienne avec une surveillance généralisée des citoyens grâce au «Système», restreignant liberté et intimité. Et les méthodes du Bureau, camps de rééducation, torture psychologique, recours aux kamikazes ne sont guère démocratiques. Mais, «entre l’état Big Brother et la dictature de l’inquisition le choix est vite fait»!
Le lecteur sera captivé, fasciné par cette dystopie. Et il sera taraudé par cette question: et si tout cela se réalisait…
Douglas Kennedy, Et c’est ainsi que nous vivrons, traduit de l’américain par Chloé Royer, éditions Belfond, 338 pages, 22,90 Euros, sortie le 01/06/2023
Visuel (c): couverture du livre, éditions Belfond