Premier roman remarqué lors de la rentrée littéraire d’automne 2023, En salle de Claire Baglin sort ces jours-ci en poche.
Métro, McDo, Dodo. Car même si Claire Baglin ne le nomme jamais tout au long de son premier roman, la narratrice semble bien évoluer dans un McDonald’s. Ou alors un Burger King, Quick, KFC. Bref, le monde de la malbouffe, mais aussi celui de la restauration rapide qui nécessite une organisation particulière du travail.
Dès l’incipit, la narratrice fait face à un recruteur sournois, qui ne manque pas d’humour : « Et pourquoi ici plutôt qu’ailleurs ? Je suppose que vous avez postulé partout, même chez nos concurrents. » Car la narratrice pourrait vouloir travailler n’importe où, tant qu’elle gagne des sous. Mais les relations qu’elle entretient avec cette chaîne de restaurant sont plus profondes, plus intimes, remontant aux pauses déjeuner lors des vacances en famille.
Embauchée, la narratrice alterne les postes au sein du restaurant et, après quelques semaines au drive, se retrouve en salle, « le royaume dont personne ne veut, constitué du lobby intérieur où mangent les clients, de la terrasse, des toilettes, et du local poubelle ». Un poste ingrat, d’autant plus en période de Covid où il faut tout nettoyer, constamment.
Claire Baglin raconte, en parallèle du travail au fastfood, la figure du père, ouvrier. Un homme fier de décrocher la médaille du travail, qui a des idées très précises sur comment évoluer dans des jobs où les rapports de force avec les managers sont monnaie courante puisque « dans le travail c’est simple, il ne faut pas se laisser bouffer, il faut s’imposer. » Et plus loin : « le boulot, c’est pas toute la vie, on doit garder des loisirs, des passions, avoir des activités le weekend et il faut pas se laisser engloutir sinon c’est foutu ». Alors le weekend, on bricole les meubles à peine abimés et les ordinateurs en berne récupérés à la déchetterie.
Comme l’avait noté Marx, le travail aliène, d’autant plus que le travailleur doit faire face à la fétichisation de sa marchandise, c’est-à-dire au fait que le produit conçu par le travailleur cache les rapports de force entre l’exploitant et l’exploité. Tous ces clients abrutis par leurs burgers et leurs frites oublient que, derrière ce qu’ils s’empiffrent, il y a des gens qui bossent. Un premier roman original et précis sur le monde du travail.
En salle, Claire BAGLIN, Editions de Minuit, 144 pages, 8,50 €
Visuel : © Couverture du livre