Dans un album one-shot de qualité (grand format, 164 pages, un beau papier) réalisé avec l’un de ses vieux comparses, Jean-Blaise Djian, Régis Loisel signe son retour aux affaires. Avec La dernière maison juste avant la forêt, les deux artistes livrent ensemble un récit burlesque et graveleux, qui tombe parfois à côté.
C’est écrit sur le bandeau. «Le grand retour de Loisel au dessin», en voilà une belle promesse. Et en ouvrant ce gros bouquin, force est de constater que l’on ne nous a pas menti. C’est avec un certain plaisir que l’on retrouve ce trait si spécial, vivace et brut, comme il n’en existe qu’un. Lui qui a si souvent secondé, ces dernières années, ses braves collègues et dont le plus bel accomplissement durant cette période est très certainement la collaboration avec Jean-Louis Tripp pour Magasin général. Un dessin que seul lui maîtrise, avec des gueules pas possible et des langues qui débordent de partout, avec des têtes qui sautent et des corps en lambeaux, et cette attention portée au détail. Exubérant, c’est le mot. Quitte à parfois donner carrément dans la caricature…
Il faut dire que cette drôle d’histoire s’additionne à ce drôle de trait. C’est un week-end d’anniversaire pour une famille spéciale avec une mère sorcière vaudou et un père ancien militaire transformé en buste de statue par sa femme. Leur fils, facteur, est persuadé d’être un bellâtre à cause d’un sort jeté par sa mère, mais en réalité, il n’en est rien : il est même franchement laid. Alors, durant ce week-end, va se nouer un triangle, un carré, un losange d’intrigues autour d’une invitée spéciale amenée spécialement pour l’occasion : Mimi, une prostituée. On y retrouve un condensé de la patte Loisel, de son lexique : les petites créatures oniriques mignonnes ou inquiétantes, l’érotisme et les formes généreuses qui débordent presque, et cette mise en scène dynamique poussée par ce dessin en hachures et en croisés. Bruno Tatti, coloriste émérite, quant à lui, rend à ses côtés une plutôt bonne copie.
C’est peut-être ailleurs que le bât blesse. Cette histoire est basée sur un scénario initial de Jean-Blaise Djian. Le prolifique auteur, entre autres des Quatre de Baker Street ou de Normandie 44, a l’habitude d’envoyer ses idées au mari de sa cousine, un certain Régis Loisel, afin d’avoir un avis éclairé et quelques conseils sur sa production. C’est dans ce cadre que la collaboration a pris forme entre les deux artistes, et que l’outrance du scénario de Djian est venue s’ajouter à la transgression du dessin de Loisel.
Il n’en est pas moins vrai que cet album est loin d’être parfait. Le problème de l’œuvre n’est pas tant qu’elle soit politiquement incorrect, si tant est qu’elle le soit, mais qu’elle tire en longueur en jouant sur des ficelles éculées. L’humour et l’imaginaire qui baigne le livre paraissent un rien daté et donne, au final, une sorte de vaudeville, trash et fantastique, qui ne fait pas toujours son effet. Une prostituée, une sorcière, un militaire : il y a de quoi sentir la mauvaise blague arriver. Les éditions Rue de Sèvres ont mis le paquet pour cette grande gaudriole avec un très joli objet-livre en format supérieur et avec un pelliculage toilé de très bonne qualité. Le résultat n’est peut-être pas à la hauteur des efforts investis, malheureusement. Comme disent les gens, il faut apprendre à vivre avec son temps.
La dernière maison Juste avant la forêt, Regis Loisel et Jean-Blaise Djian , Colorisé par Bruno Tatti , Editions Rue de Sèvres, 164 pages, 35 €
Visuel principal : © Editions Rue de Sèvres