Très différentes mais toutes deux publiées chez Casterman, ces deux bandes dessinées se penchent sur la condition féminine.
Manroureh Kamari est née et a grandi à Téhéran. En 2011, elle arrive en France, et présente avec Ces lignes qui tracent mon corps son premier album de bande dessinée. Largement autobiographique, l’album se sert du « je » pour retracer la condition des femmes en Iran. L’autrice choisit un exemple particulier, sa vie, pour mieux révéler l’oppression constante qui règne sur les Iraniennes. L’album s’ouvre par une séance de pose : au centre des regards, une femme, nue, se remémore sa jeunesse et son adolescence en Iran. Il y a d’abord le poids du père, homme violent, régnant en despote à la maison sur ses sa femme et ses enfants, « propriétaire du sang de ses enfants » selon la loi islamique. Et en dehors du foyer, il y a les insultes qui fusent, les gestes déplacés, le port du voile obligatoire dès 7 ans, l’impossibilité de faire l’amour hors du mariage : « je réalisais à quel point les femmes n’avaient aucune valeur ». Si l’album n’évite pas quelques clichés et ne convainc pas toujours par ses choix graphiques, Ces lignes qui tracent mon corps reste un témoignage émouvant. La bande dessinée parlera notamment à un jeune public pas forcément au courant de la condition des femmes en Iran.
Sur un tout autre plan se situe la nouvelle BD de Fanny Michaëlis Et c’est ainsi que je suis née. Bien moins linéaire et plus kafkaïenne que celle de la BD précédente, l’histoire surprend dès son ouverture, par la naissance d’une fille la tête à l’intérieur d’elle-même. Plus loin dans le récit, sa tête se transformera, « sortira », et agrégera tous les regards. En ville, notre héroïne fait la connaissance d’un homme avec qui a elle a une brève aventure, et un enfant, qu’elle avorte. Honteuse, elle décide de ne pas rejoindre le foyer familial, et commence à travailler pour le duty free d’un aéroport. Voilà les grandes lignes d’une intrigue à la croisée du conte et de la fable politique. En résulte un album fortement étrange, presque une œuvre d’art en soit, où il est impossible de tout comprendre, de tout embrasser. Le dessin en noir et blanc de Fanny Michaëlis interroge, entre art moderne soviétique et formes à la Modigliani. BD féministe, Et c’est ainsi que je suis née met en scène une femme non nommée pour que l’héroïne devienne un archétype, sujette à la domination des hommes. « À travers l’expérience du sujet, explique Fanny Michaëlis, je tenais à montrer que la violence et la mémoire de la violence s’inscrivent dans le corps autant que sur le psychisme. » Un album exigeant, qui ne plaira pas à tout le monde, mais qui se distingue par un geste artistique fort.
Ces lignes qui tracent mon cœur, Mansoureh KAMARI, Casterman, 200 pages, 24 €.
Et c’est ainsi que je suis née, Fanny MICHAËLIS, Casterman, 176 pages, 25 €.
Visuel : © Couvertures des deux albums