Gloria Origgi est une philosophe italienne spécialiste de l’épistémologie sociale. Dans son essai, «La vérité est une question politique», elle aborde l’élaboration des vérités scientifiques et politiques. Elle ébauche une résistance au chaos informationnel contemporain.
A l’époque des post-vérités, les faits objectifs peuvent devenir secondaires par rapport aux opinions et aux émotions qu’ils suscitent. Pour la philosophie moderne, depuis Nietzsche, la vérité n’est plus une valeur absolue transcendante. Mais elle demeure une boussole indispensable pour le pouvoir, la société, les individus.
L’élaboration de la vérité devient donc une question primordiale. Pour la philosophe italienne Gloria Origgi, elle est un processus collectif qui requiert des institutions adéquates. La construction de la vérité est donc imminemment politique.
L’auteure distingue les vérités rationnelles, scientifiques et les vérités factuelles sociales ou politiques. La science est sortie de sa tour d’ivoire, elle n’est plus indépendante de la société mais la démarche scientifique reste un chemin qui vise à s’approcher de la vérité. Grâce à une méthodologie rigoureuse, une éthique qui admet le débat, un scepticisme de principe. De son coté l’état doit rester neutre et respecter toutes les opinions. Mais au 20ème et 21ème siècles science et politique sont imbriquées. L’état doit donc recourir à des experts tout en maintenant une juste division du travail cognitif, un équilibre entre autorité épistémique et autorité politique. L’objectivité se situerait à l’intersection entre les faits scientifiques et les valeurs sociétales
Le livre s’attache ensuite à l’élaboration de la vérité en politique. Il faut pour cela distinguer la propagande, souvent de la part de régimes totalitaires, de la persuasion légitime en démocratie. La propagande s’adresse aux émotions primaires et aux pulsions. La persuasion est basée sur le discours rationnel. Elle peut recourir au registre émotionnel mais sans entraver notre capacité délibérative. Cette distinction est particulièrement importante à l’heure du flux informatif actuel, souvent chaotique.
Gloria Orrigi nous propose un essai dense, documenté, avec de nombreuses références biographiques mais son style est clair, le texte accessible. Le raisonnement philosophique est illustré par des exemples tirés de l’actualité récente, comme la guerre en Irak de 2003, le Covid, le tremblement de terre d’Aquila en Italie. Elle est convaincante quand elle dissèque les mécanismes d’élaboration de la vérité, quand elle démontre que la vérité est une notion politique. Son analyse des raisons profondes de nos croyances est passionnante, comme celle des entraves à une juste analyse des informations auxquelles nous sommes soumis.
Elle nous propose des solutions pour ne pas promouvoir de contre vérités. Elle parle de la défiance technocratique, de la difficile représentation collective des données scientifiques, de la méfiance vis à vis des experts. Ils doivent être choisis judicieusement sur leur compétence mais aussi leur indépendance, leur engagement moral . Elle invite le citoyen à développer une motivation «zététique» c’est à dire à chercher à élargir ses connaissances. Penser doit devenir «le fruit le plus précieux de notre vivre ensemble». Le lecteur ne pourra qu’adhérer à la conclusion de cet intéressant essai: «Je n’ai pas la solution mais nous avons beaucoup à faire au niveau individuel, collectif et institutionnel». Pour tracer ensemble le chemin vers une pleine citoyenneté.
Gloria Origgi, La vérité est une question politique, Albin Michel, 176 pages, 19,90 euros, sortie le 1er Mars 2024
Visuel ©: Couverture du livre, éditions Albin Michel