Dans un beau livre qui ne choisit pas entre le fond et la forme, Dominique Rebaud et Nicolas Villodre dressent une somme aussi ludique qu’impressionnante, sur un sujet délicieux, retracer en 50 films cultes la place de la danse sur les écrans depuis le début du XXe siècle.
Près d’une cinquantaine d’auteur·ices sont rassemblé·es dans cette somme. Chacun·e, chorégraphe, journaliste, interprète… dresse le portrait d’un film en le contextualisant dans son époque. Marion Carrot nous fait voyager jusqu’en 1894 avec une étude de Cancan de Georges Demenÿ. On y regarde deux danseuses légèrement vêtues pour leur époque, classées dans la catégorie frivole. Car la danse, sur les écrans, est souvent le summum de la joie, comme nous le montre la belle équipe. Vous avez forcément en tête Gene Kelly dansant sous la pluie, ses pas techniques, ou bien Charlie Chaplin. On retrouve ces classiques dans l’ouvrage. Mais là où le projet devient réellement intéressant, c’est dans sa capacité à ouvrir l’esprit sur des œuvres pour la plupart totalement méconnues du grand public.
La danse apparaît ainsi dans des œuvres documentaires, comme chez Alice Guy dont nous parle Cécile Proust. Elle a capté l’alegria d’une danse endiablée dans Grenade, en 1905. On y voit une danseuse coiffée d’un chapeau, en jupe à volants, balancer ses bras au son de la guitare. L’image est bien sûr en noir et blanc, fixe, et pourtant elle nous transporte loin, aidée par le texte qui déploie cette danse pré-flamenco.
Quand le siècle avance, quand la voix apparaît, la danse change de place. Elle s’épanouit dans les comédies musicales, comme dans Les Demoiselles de Rochefort. Oui, il faut désormais parler et danser en même temps, c’est l’ère d’un siècle qui a aboli le muet. Mais le genre déborde et s’infiltre dans les foyers. Virginie Aubry nous parle du Poignard de Jean-Benoît Lévy en 1952, un film que nous ne connaissions pas. On y découvre Jean Babilée, star des années 1950, semblant voler dans une romance noire. On apprend que les films de ce réalisateur ont largement contribué à populariser le ballet auprès d’un très large public.
Les révolutions esthétiques du champ chorégraphique passent aussi par l’écran. Isadora Duncan et ses danses libres, jamais filmées, mais dont on aperçoit quelques secondes seulement, sont racontées par Élisabeth Schwartz, « isadorable », transmettante passionnée de cette écriture. Mary Wigman, quant à elle, explore en 1932 des torsions oscillatoires portées par le souffle. Dans La Danse de la sorcière, que nous raconte Bernard Rémy, elle semble nous griffer encore aujourd’hui, là, maintenant.
Cinédanse est donc un ouvrage foisonnant qui explore les liens intimes entre danse et cinéma, depuis les origines du cinématographe jusqu’aux expérimentations contemporaines. Richement illustré, il se lit comme un voyage visuel et critique, une mémoire vivante où danse et cinéma se répondent sans cesse, faisant progresser à la fois le regard sur le mouvement et sur la caméra.
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Cinédanse gathers nearly fifty contributors, choreographers, journalists, interpreters, each analyzing a film by placing it in its historical and artistic context. From Georges Demenÿ’s Cancan in 1894 to contemporary works, the book reveals how dance and cinema have grown together, shaping each other’s history. Documentaries, musicals, avant-garde experiments: from Alice Guy to Gene Kelly, from Isadora Duncan to Mary Wigman, the collection highlights both iconic and lesser-known films. Richly illustrated, Cinédanse is a critical and visual journey, a living memory where movement and camera meet in constant dialogue.
Cinédanse 50 films culte, sous la direction de Dominique Rebaud et Nicolas Villodre. Nouvelles éditions Scala. Novembre 2024. 162 pages, 35 euros.
Visuel : couverture