Dans Chumbo, impressionnant roman graphique en noir et blanc, le dessinateur Matthias Lehmann traverse avec souffle près de 70 ans d’histoire brésilienne, en s’attachant au destin d’une famille déclassée.
Quel pays fascinant que le Brésil! Fascinant et contrasté, terre de tant de beauté et tant d’excès, de tant de plaisirs et tant de violence…
Pour dire l’histoire dure et tumultueuse de ce pays, de la fin des années 30 au début des années 2000, le dessinateur Matthias Lehmann raconte celle de la famille Wallace, plus ou moins inspirée par celle de sa mère brésilienne. Tout commence à Belo Horizonte, en 1937. Le père est fanfaron, sûr de lui, et dirige sans états d’âme une compagnie minière. La mère de ses cinq enfants ne dit mot… mais consent le mode de vie bourgeois qu’il lui offre, sans y adhérer pleinement. Les enfants sont aussi fruits de contraste. Il y a trois sœurs, de la plus pieuse à la plus libérée, et deux frères. Ramires est aussi arrogant que son père, violent et réactionnaire. Il pourrait en être le digne descendant, s’il ne manquait d’envergure et ne souffrait d’une forte addiction au jeu. Severino, lui, c’est le gamin timide et pas vraiment beau gosse, le sensible qui deviendra communiste, journaliste, puis écrivain. Pas tout à fait maître de son destin, un peu lâche, mais sympathique. Il y a un autre personnage qui compte dans cette saga brésilienne, c’est la puissante Iara, fille d’un syndicaliste éliminé par le père Wallace, parce que trop gênant, avec ses revendications… Métisse, intellectuelle, engagée, elle s’enrôlera dans une bande de guérilleros où elle retrouvera le fils du bourreau de son père, Severino, arrivé là un peu par hasard. Ensemble, il connaîtront, la torture. Ensemble, ils retrouveront la liberté. Se perdront, se retrouveront, c’est une histoire romanesque… peuplée de personnages qui le sont tout autant.
Pendant trois-cent-cinquante pages et près de sept décennies, ce beau monde se débat, avec ses convictions, ses addictions, ses richesses, ses faiblesses dans un pays en perpétuelle mutation, secoué dans un yoyo politique permanent, embourbé dans la dictature lors de longues et lourdes années de plomb (« Chumbo »). Et pourtant… pourtant, la vie continue. On continue d’y vivre, d’y aimer ou même de se passionner pour le « futebol », passion nationale.
C’est une histoire riche, complexe et difficile que raconte Chumbo, mais cet ouvrage est traversé d’une telle vitalité qu’il se lit d’un seul souffle, haletant. Un ouvrage somptueux, tout en noir et blanc (choix étonnant pour un pays si coloré mais choix efficace) aux multiples nuances, donc le trait semble inspiré de la gravure sur bois. Un ouvrage envoûtant, qui nous attache à des gens pourtant pas complètement attachants. Et c’est toute sa force. L’imposant Chumbo est aussi subtil, intelligent, et de toute beauté.
Chumbo, de Matthias Lehmann, Ed. Casterman, 368 p., 29, 95 euros. Sortie le 30/08/2023