Un roman où la grandeur de l’histoire se confond avec la fragilité des êtres, entre souffle antique et modernité poignante.
Fuyant Troie en flammes, Énée échoue sur les rivages de Carthage, entre les bras ouverts de Didon et les desseins espiègles d’Éros. Des siècles plus tard, Auguste commande à Virgile de chanter l’épopée fondatrice de Rome. Mais ce que le poète veut écrire n’est pas le récit glorieux des conquêtes, c’est la douleur des exilés, la peur des naufragés, la voix « de ceux que les imparables événements qui forgent l’Histoire ont écrasés. » « Les guerres tombent dans l’oubli, les chants demeurent. Seul reste le poème pour dire la souffrance des vaincus. » En tressant les voix des héros antiques et celle de Virgile, Irene Vallejo ne ressuscite pas seulement un mythe : elle le fait palpiter au rythme de nos interrogations contemporaines, qu’elles portent sur le pouvoir, le destin ou la place des femmes dans l’ordre des légendes.
On lit Carthage comme on se laisse happer par une grande épopée : souffle narratif, lyrisme, tragédie et comédie entremêlées. Le roman est un page-turner qui n’a pas à rougir face à l’Odyssée ou à l’Énéide dont il prolonge l’héritage. Mais Irene Vallejo ne se contente pas d’imiter : elle invente une langue, la sienne, à la fois tendre et flamboyante, qui dit la douleur comme l’amour, la perte comme la consolation. Là où les poètes antiques chantaient la gloire des vainqueurs, elle fait entendre la vérité fragile des vaincus. Le résultat est bouleversant : un récit d’aventures et de naufrages, de guerres et de passions, qui parvient à surprendre et à émouvoir malgré l’histoire que nous pensions déjà connaître. L’Infini dans un roseau avait révélé une essayiste habitée par la mémoire des livres ; Carthage révèle une romancière qui, par la puissance de sa plume, ranime les chants antiques pour les faire résonner aujourd’hui.
Irene Vallejo, Carthage, Actes Sud, sortie le 20 août 2025, 288 p., 21,90 euros.
Visuel : © Couverture du livre