« Bleus, Blancs, Rouges » de Benjamin Dierstein : Les années fric

Côté polar, l’année 2025 sera donc marquée par deux trilogies massives : celle de Frédéric Paulin autour de la guerre civile libanaise, dont le dernier tome est attendu pour la rentrée littéraire, et celle de Benjamin Dierstein, inaugurée en février dernier avec Bleus, Blancs, Rouges. Chez ces deux auteurs, une volonté de retravailler l’Histoire avec les outils de la fiction. Et les parallèles entre les deux projets ne s’arrêtent pas là. Si l’on croise souvent l’OLP et le FPLP chez Paulin, ces deux organisations apparaissent de temps à autre chez Dierstein, dont l’histoire se déroule majoritairement en France.

La France a peur

Après une ouverture en fanfare en plein Mai 68, extrêmement cinématographique, le livre déplace son intrigue en mars 1978 et courra jusqu’au 31 décembre 1979. En cette fin des années 1970, l’Europe craint avant tout la vague terroriste qui déferle avec moultes revendications, principalement d’extrême gauche. Tout juste sortis de l’école de police, ne s’appréciant guère et intégrant deux services différents, Marco Paolini et Jacquie Lienard se retrouvent chacun de leur côté à suivre une même cible, Geronimo. Cet homme mystérieux, aux trois doigts manquants, est soupçonné de former des groupes terroristes à passer à l’action en France. En parallèle et occupant tout autant de place dans la narration du livre, Jean-Louis Gourvennec, profondément marqué par la violence de Mai 68, est recruté pour infiltrer un groupuscule d’extrême-gauche proche de Pierre Goldman. Enfin, ancien garde du corps d’Alain Delon, connaissance personnelle de Giscard et après des années d’exil en Afrique, Robert Vauthier revient en France avec pour projet de régner sur le monde de la nuit.

Si la taille de l’ouvrage rebute (près de 800 pages !), le talent de Benjamin Dierstein fait passer la pilule. Constitué majoritairement de dialogues, le livre rappelle les grandes heures du polar d’espionnage par sa complexité, voire les romans de James Ellroy par la foultitude de ses personnages. Sans jamais nous perdre, rappelant régulièrement les enjeux de ses personnages, le romancier livre un polar historique loin d’être plombant.

Les années bonheur ?

La réussite du livre tient particulièrement à la reconstitution minutieuse qu’il fait des années 1970. Si on écoute Patrick Juvet, Dalida et Boney M, on se précipite au cinéma voir Les Bronzés font du ski et admirer Travolta dans Grease. Et lorsqu’on sort clubber dans les boîtes parisiennes prestigieuses, il n’est pas rare de croiser Alain Delon, Michou, Régine, Yves Montand et Mireille Darc. Au-delà des ces années fric (en fin de livre apparaît le personnage de Bernard Tapie), Benjamin Dierstein reconstitue le climat angoissant de cette période, entre la peur de Mesrine, celles des attentats perpétrés par l’extrême-gauche et la défiance profonde envers la politique (la fameuse affaire des diamants de Bokassa). Un livre parfait pour votre été, addictif et intelligent.