Lauréat du National Book Award 2024, Blackouts s’intéresse à deux hommes gays dont l’un se meurt, mêlant archives réelles et inventions pures. De quoi désarçonner.
Il aura donc fallu attendre douze ans le retour de Justin Torres après le succès, en 2012, de Vie animale. Ce premier roman, loué en France comme en Amérique, se concentrait sur des enfants à la vie cabossée, menant une existence à part. Le deuxième roman de Justin Torres, Blackouts, paraît donc pour cette rentrée littéraire et se concentre à sa manière sur une population à part, ostracisée par la société, la communauté queer.
Le roman s’ouvre d’une étrange façon, à la manière d’un conte : « J’étais venu au Palais parce que l’homme que je cherchais y avait une chambre ». On pense à Kafka sans la grisaille, l’histoire se déroulant dans un espace désertique où la chaleur étouffante renforce les souffrances de Juan, mourant. Son ami nene lui rend visite : les deux se sont rencontrés il y a quelques années de cela en hôpital psychiatrique, alors que nene allait sur ses dix-huit, et que Juan était déjà un homme mur. A partir de là, les histoires se succèdent, à la façon des Mille et une nuits : Juan est un véritable conteur. « La voix de Juan flottait jusqu’à moi. Il aimait me mettre en transe, il était doué pour ça ; si doué que j’avais l’impression que, une de ces nuits, je risquais de ne jamais en sortir. »
Juan se met alors à parler longuement d’une certaine Jane Gay, pionnière dans l’étude de l’homosexualité au début du XXème siècle, notamment rédactrice d’un Sex Variants : A Srudy of Homosexual Patterns, une succession de témoignages de la communauté queer d’antan, un assemblage qui met en lumière « l’esquisse d’une vie qui surgit du passé ». Blackouts se concentre alors longuement sur la vie de cette anthropologue elle-même homosexuelle, sur la reconnaissance (ou plutôt l’oubli) de son travail, sur son père, grand amour de l’anarchiste Emma Goldman.
Si la première partie de Blackouts est nimbée d’un mystère attirant, le livre se délite peu à peu au fil des trop nombreuses pistes qu’il ouvre. Le souhait de mélanger fiction et faits réels ne conduit pas, selon nous, à susciter le mystère, mais plutôt ici à créer un gloubi-boulga malvenu qui finit par ennuyer fermement. Le livre, à la forme pour autant novatrice et recherchée (documents photographiques et illustrations se succèdent), ne semble jamais saisir son sujet, et ne parvient pas à cerner cette Jane Gay à la vie pourtant bien remplie. Frustrant.
Blackouts, Justin TORRES, traduit de l’anglais (Etats-Unis) par Laetitia Devaux, Editions de l’Olivier, 336 pages, 25,50 €
Visuel : © Couverture du livre