Bertrand Badie plaide une nouvelle conception de la géopolitique

Les limites de la géopolitique classique

Le déclenchement de la guerre en Ukraine par Vladimir Poutine semble avoir remis au goût du jour la géopolitique traditionnelle. N’était-ce pas une guerre de conquête voulue par le seul fait du prince ? Mais pour Bertrand Badie, il s’agit d’une illusion, qui plus est, d’une illusion dangereuse. La géopolitique serait née à la renaissance lorsque les relations inter-étatiques ont pris toute leur importance. Elle s’est illustrée, par exemple, au traité de Wesphalie (1648) et au congrès de Vienne (1815). Elle s’est développée au 19e siècle lorsque le territoire était l’enjeu central et au 20e siècle avec la guerre froide. La géopolitique était une science des rapports de force, appelée la «realpolitik».
Avec la mondialisation tout a changé. Les états ont perdu le monopole des relations internationales. De nombreux acteurs non étatiques se sont invités sur la scène internationale. L’entre-soi du temps de l’hégémonie européenne puis euroatlantique est fini. «La diplomatie se heurte à une fragmentation culturelle, à une dissonance des rationalités». Comme le disait déjà Durkheim, l’humain importe plus que le sol. Les observateurs, l’opinion publique ont pris une importance considérable. Se limiter à une géopolitique inter-étatique traditionnelle paraît dangereux, expliquant les échecs des interventions militaires extérieures (comme au Sahel). Le monde occidental deviendrait un club fermé. Et l’incompréhension rend impossible toute négociation véritable.

La subjectivité au cœur de la diplomatie

«Le jeu de gladiateurs décrit par Hobbes» est fini. Telle est la thèse originale, développée par Bertrand Badie. La théorie géopolitique classique n’est plus opérante, ce qui représente un défi pour les décideurs. La subjectivité devient prépondérante dans les relations internationales. Pour le chercheur comme pour l’acteur il faudra penser l’autre en s’appuyant sur sa sensibilité, sur son expérience personnelle. Des vertus subjectives comme le respect et la confiance sont nécessaires pour prévenir «l’auto empoisonnement du ressentiment». Aborder une altérité énigmatique implique modestie et discrétion. L’herméneutique de la diplomatie est devenue complexe. L’intercompréhension s’installe au centre de la sphère stratégique. Ainsi «il faudrait tout connaître pour comprendre les parties et connaître les parties pour comprendre le tout».

Au-delà du constat, l’intérêt du livre est de nous donner des pistes de réflexion : il faut décrypter l’univers culturel de son interlocuteur, le réinterpréter à partir de sa subjectivité. Une subjectivité maîtrisée qui doit permettre une empathie cognitive. Telles sont les conditions pour trouver des modes de conciliation, pour amorcer une fusion des sens puis de nos horizons. Un chemin difficile qui donne un rôle primordial aux chercheurs, mais une voie indispensable pour espérer une meilleure coopération internationale.

Le lecteur ne pourra qu’adhérer à la finesse d’analyse de Bertrand Badie et à ses propositions en vue d’une meilleure gouvernance mondiale.