Quel est le lien entre des explorateurs arctiques et un professeur américain ? Dans No limit, Luke Healy nous entraîne dans des contrées froides et solitaires.
Au début du XXe siècle, les explorations polaires constituent le nouveau défi des aventuriers. Extrêmement dangereuses, peu s’y sont risqués et encore moins ont atteint les pôles. En 1913 et en 1921, l’explorateur et ethnologue canadien d’origine islandaise Vilhjalmur Stefansson lance deux expéditions polaires, l’une pour prouver que l’on peut survivre en autarcie dans le cercle polaire arctique, l’autre pour clamer la souveraineté canadienne sur l’île Wrangel. Mais aucune n’était bien préparée, et les conséquences pour son équipage furent catastrophiques.
Après Americana, où Luke Healy racontait ses mois passés à marcher sur le Pacific Crest Trail, nous découvrons No limit, album publié quatre ans auparavant. Les thématiques des deux albums se rejoignent : ils abordent le dépassement de soi et l’isolement, le tout porté par un style graphique épuré efficace, mais dont la mise en couleurs aurait pu être plus nuancée. Americana était de l’autofiction ; No limit mêle lui aussi fiction et réalité, mais d’une façon différente. En effet, aux expéditions bien réelles de Stefansson, l’auteur ajoute un troisième récit, inventé celui-ci, d’un professeur d’université mis au banc de l’institution pour avoir eu une relation homosexuelle avec l’un de ses élèves.
Dans les trois récits entremêlés, Stefansson apparaît comme le mauvais génie planant au-dessus des autres personnages, sans que ses actions, même douteuses, ne soient jamais remises en cause. Seuls sur une île peuplée d’ours polaires, ou déprimés dans un appartement du New Hampshire, les protagonistes cherchant à se sortir de situations de crise se retrouvent confrontés à leurs propres limites. Si les situations des explorateurs et du professeur sont très différentes, les uns jouant leur vie et l’autre cherchant un sens à sa vie, on peut malgré tout faire le parallèle entre la solitude du désert arctique et celle des villes contemporaines, que l’on corresponde aux normes sociales ou non.
Si par moments les deux expéditions se mélangent un peu dans la narration, Luke Healy nous offre néanmoins un bel album dont les réflexions se poursuivent dans Americana. Il nous démontre l’importance des récits, réels ou non, dans la construction de la vie de chacun, et même de ceux qui n’atteignent pas le pôle Nord.
No limit (ou comment survivre en milieux hostiles), de Luke Healy, Casterman, 196 pages, 25€
Visuel : couverture ©Casterman – Healy