Deux bandes dessinées bien différentes, La Route par Manu Larcenet et Shadow Hills de Sean Ford, traitent toutes deux de la fin du monde.
En ouverture, alors qu’un petit garçon perdu est recueilli par une jeune femme, rien n’annonce l’apocalypse que vont devoir subir les personnages de Shadow Hills. Dans cette ville américaine vivant de l’exploitation de shale (de la roche argileuse ou marineuse pouvant contenir du gaz naturel) évolue Anne, dont la sœur jumelle Dana a disparu il y a de nombreuses années. Le quotidien triste et morne de cette cité se voit vite perturbé par une mystérieuse matière visqueuse qui recouvre un à un les habitants, sans qu’un traitement efficace soit trouvé pour lutter contre cette marée noire. S’engage alors une course contre la montre pour sauver le maximum de monde et trouver l’origine de cette épidémie…
Après Only Skin, le scénariste et dessinateur américain revient à une bande dessinée mêlant questionnements écologiques et fantastique (on pense à des films comme Le Blob ou The Thing). On a parfois un peu de mal à distinguer les personnages, nombreux, et à suivre les différents fils narratifs. Pour autant, ces réserves sont mineures face au suspense que l’auteur arrive à distiller au fur et à mesure de ses cases. Entre thriller et horreur, Shadow Hills dresse aussi le portrait d’une Amérique moyenne où la grisaille l’emporte.
Attention chef-d’œuvre. Eh oui, cela arrive. On a beau soupeser le sens de cette expression dans tous les sens, l’adaptation du chef-d’œuvre romanesque de Cormac McCarthy en bande dessinée par Manu Larcenet est également un chef-d’œuvre. Difficile de ne pas être pris aux tripes en parcourant ces pages, de ne pas être ému face à cette relation père/fils, de ne pas frissonner face à cette Amérique brisée et annihilée.
Pour ceux qui seraient passés à côté du prix Pulitzer de 2007, La Route se concentre sur un père et son fils qui descendent une route pour rejoindre le sud des États-Unis où ils espèrent trouver refuge. Durant cette interminable marche, ils croisent des cadavres et des bâtiments disloqués sous une grisaille persistante. Des causes de cette apocalypse, on ne saura jamais rien, de même que les prénoms des deux personnages seront tout du long occultés, faisant d’eux des figures totémiques.
La bande dessinée parvient à retranscrire les angoisses du père et du fils face à quelques survivants dépourvus d’humanité. Manu Larcenet habille ses personnages rachitiques sous des couches de guenilles et fait de chaque paysage un no man’s land angoissant et hostile. Très fidèle, l’adaptation retranscrit les dialogues simples de Cormac McCarthy, ponctués des réguliers « papa » auxquels se raccroche le garçon. Mais La Route est également plein de silences, parfaitement fidèle ici à la pensée de Pascal : « Le silence éternel de ces espaces infinis m’effraie. »
La mort est partout et l’espoir presque nulle part tandis que le garçon essaie tant bien que mal de donner du sens moral à un monde perdu : « Est-ce qu’on est encore les gentils ? » Les cinquante nuances de gris utilisées par Manu Larcenet font de La Route un voyage difficile mais néanmoins salutaire.
Shadow Hills, Sean FORD, Delcourt, 224 pages, 19,99 euros
La Route, Manu LARCENET, d’après l’œuvre de Cormac MCCARTHY, Dargaud, 160 pages, 28,50 euros
Visuel : © Couverture de La Route