Un texte aussi séduisant qu’agaçant… à l’image de l’adolescence tardive.
Freed from desire… Tel a été l’hymne de notre été, presque de notre année. De libération des conventions, de désir, de quête de sens, il est aussi question dans le dernier roman de Shane Haddad. Mais avec ce petit côté désenchanté que n’aurait pas renié Mylène Farmer.
Aimez Gil, c’est d’abord l’histoire d’un duo, composé de Gil donc et de son ami Mathieu. Gil et Mathieu sortent beaucoup, mais toujours moins qu’ils ne boivent. Ils font des bullshit jobs, pour reprendre l’expression consacrée de David Graber, et ont autant d’appétit pour la vie et de rêves que des centenaires. La vie va bon an mal an, jusqu’au jour où Gil fait la rencontre d’un deuxième M, Mathias, qui risque bien de bousculer l’équilibre entre les deux amis… Commence alors un road trip qui emmène le trio de Cassis au Cotentin, de maison familiale en camping pourri. Jusqu’à une destination finale annoncée dès les premières pages mais qui, malgré tout, tient les lecteurices en haleine tout au long du livre.
Car, il arrive que l’on s’interroge sur le but de notre trio. Où filent-ils ? Que fuient-ils ? Il faut parfois s’accrocher pour suivre la bobine de pensées, accolées les unes aux autres, que tire Shane Haddad. Sa langue est un fil sans filtre. Sa force ? Coller au plus près des émotions de Gil. Ressentir avec elle cette colère qui ne bout pas encore, qui frémit mais va monter comme du lait dans la casserole. Comprendre qu’il est parfois plus simple de « [s’]enfouir sous terre et danser et boire jusqu’à ne plus savoir que nous sommes là où les morts sont ». Mais, si ce portrait de la jeune vie adulte touche par ses éclats de vérité, il risque d’en désabuser certain·es dans sa manière parfois un peu snob d’aborder la question de la solitude. En somme, pas sûr que tout le monde prenne le risque d’aimer Gil.
Shane Haddad, Aimez Gil, sortie le 22 août 2024, Paris, P.O.L., 368 p., 21 euros.
Visuel : © Couverture du livre