Dans ce premier roman, Salma El Moumni donne à lire ce que voient les femmes du male gaze.
Posséder au moins deux personnages féminins avec un nom, s’assurer que ces deux personnages aient au moins une discussion et, surtout, que cette discussion concerne autre chose qu’un homme : tels sont les critères que doivent réunir les films pour « passer » le test de Bechdel. Ce test, le premier roman de Salma El Moumni ne le réussit pas vraiment. Son héroïne a beau porter un prénom, pour le reste on repassera. Et pourtant…
Dans les rues de Tanger, Alia se sent scrutée. Des paires d’yeux partout, pour la déshabiller, l’insulter, la suivre. Pourquoi ? Elle n’en a pas la moindre idée mais refuse de ne pas comprendre. Alors, elle prend la pose pour prendre sur le vif ce que les hommes perçoivent d’elle. Un rituel qui lui coûte cher. Un péché de chair quand, après s’être refusée à Quentin, un expatrié français de sa classe, ses photos se retrouvent sur Internet. Alia n’a d’autre choix que de quitter son pays, sa ville, son corps.
C’est cette dissociation, cet exil, que Salma El Moumni retranscrit à même la peau de son héroïne. Écrit à la deuxième personne du singulier, Adieu Tanger se lit comme un corps-à-corps. Un face-à-face, yeux dans les yeux, qui ne détourne pas le regard mais retourne la situation. L’autrice, née au Maroc, prend le male gaze à son propre jeu pour mieux le déconstruire. Elle décrit comme personne ce que non seulement les femmes vivent mais surtout ce qu’elles voient du regard destructeur des hommes. Un female gaze puissant, seul à même de reprendre corps.
Salma El Moumni, Adieu Tanger, sortie le 30 août 2023, Grasset, 180 p., 18 euros.
Visuel : couverture du livre.