Ce sera donc elle, la dernière exposition. Ce sera avec ces souvenirs, avec ces photos-là, que nous refermerons un long pan d’histoire du Centre Pompidou. On entre dans Rien ne nous y préparait Tout nous y préparait de la même façon que l’on dit au revoir, adolescent·e, à sa chambre avant un déménagement. Attention, sensible.
Il y a des moments magiques quand on est journaliste, même dans cette période où la presse est très mise à mal. Ce matin, France Culture nous a invités à découvrir la programmation de sa grille d’été et de son cycle de lectures qu’on adore, qui aura lieu, comme chaque année, dans la cour du Musée Calvet, au Festival d’Avignon, du 7 au 13 juillet. Mais avant d’aller écouter lire des icônes telles que Nicolas Bouchaud (le 12 au matin), allez voir à Paris ce qu’il reste de la BPI. Cette bibliothèque sans murs a accueilli, depuis 1978, des centaines et des centaines d’étudiant·e·s qui ont, dans ces lieux, révisé beaucoup, et papoté beaucoup aussi.
On nous raconte que « Au cours de sa carrière artistique, Tillmans (né en 1968 à Remscheid, en Allemagne) a repoussé les frontières du visible, captant et révélant la beauté fragile du monde physique. » Et c’est exactement cela qui se produit quand on entre au deuxième étage de ce qui était jusque-là la BPI. On découvre d’abord l’ampleur du vide. Il y a, devant nous, des kilomètres d’espace, en realité, 6000 m² . Les murs, eux, sont pleins, tous, partout ; sur le moindre recoin, il y a des photos. Des photos de quoi ? Oui, vous avez raison de demander. Des photos de tout, comme si l’on laissait ouverte là la boîte de Pandore des souvenirs d’une vie déjà bien entamée. Il y a donc des photos comme de vacances, où l’on voit la mer en gros plan, et des couchers de soleil en impression sérigraphiée noir et blanc. On voit des soirées qui ont dérapé, où la langue de quelqu’un dévore l’oreille d’un autre. On voit aussi des formes, belles, toutes grises ; des genres de volutes élégantes qui dialoguent malgré elles avec l’armée russe, des aplats de couleurs digne d’un Rothko, aussi.
Et puis il y a l’œuvre dont on ne se remet pas. Wolfgang Tillmans a créé un mémorial, un vrai, du genre de tous les mémoriaux que vous connaissez. Généralement, ce type de structure grise en couloirs est dédié à la Shoah. Il est donc très troublant de retrouver cette structure de couloirs gris au cœur de la BPI. Ces deux couloirs sont remplis de deux rangées qui se font face. On y voit des postes de travail ; les postes de travail où des gens étaient assis il y a encore quelques semaines. Tillmans les a filmés en gros plan. Il y a celle qui s’ennuie, les yeux ourlés de noir ; ces deux-là qui, on imagine, bossent un exposé ensemble ; il y a lui, plus âgé, concentré. On passe au milieu d’eux en parlant d’eux au passé, comme s’ils et elles étaient mort·e·s. La sensation d’un abandon est totale. Il faut dire au revoir à ce lieu — et surtout, à bientôt. Car la BPI, tout comme le Centre Pompidou dans son ensemble, reviendra dans cette maison et lui redonnera ses meubles.
D’ailleurs, les meubles sont présents dans cette exposition. On trouve nombre de tables qui révèlent les questionnements de l’artiste sur le cerveau, notamment. Il nous met face à une évidence : « une grande partie de ce que nous voyons est le fruit de notre imagination ».
La scénographie ultra immersive de Rien ne nous y préparait Tout nous y préparait nous fait avancer dans neuf catégories telles que Rayonnages ou L’histoire au présent.
Cette exposition est une double aubaine. Celle de traverser le geste à la fois documentaire et onirique de Wolfgang Tillmans, et de dire au revoir, avec toute l’émotion qu’il faut, au Centre Pompidou.
Du 13 juin au 22 septembre 2025, au Centre Pompidou
Visuel :© Wolfgang Tillmans
Réf. image : TILLMANS_THESTATEWEREINA_2015