Le Drawing Lab se transforme en refuge de castors le temps de la nouvelle exposition de Suzanne Husky, Le temps profond des rivières. Un manifeste écologique et poétique.
Lors de l’édition 2023 du salon Drawing Now, Suzanne Husky, représentée par la galerie Alain Gutharc, a reçu le Prix Drawing Now, qui se traduit, entre autres, par une exposition au Drawing Lab qui vient d’ouvrir ses portes. Pour l’occasion, les nommées pour le Prix 2024 ont été annoncées : Caroline Corbasson, Stéphanie Mansy, Catherine Meurisse, Marine Pagès et Tatiana Wolska. Ce prix vise à mettre en lumière et soutenir un.e artiste en milieu de carrière et la galerie qui les représente par une dotation de 5000€ pour l’artiste, 10 000€ pour la production d’une exposition et l’édition d’un catalogue monographique.
Nous découvrons donc le travail de l’artiste franco-américaine Suzanne Husky au Drawing Lab, à quelques pas du Palais Royal. Si son œuvre peut prendre de multiples formes d’expression telles que le dessin, la céramique ou la tapisserie, son sujet reste le même : la terre et toute la diversité du vivant. L’artiste se concentre ici sur le castor et son rôle primordial dans la santé des cours d’eau. Ce sujet la suit depuis plusieurs années, pendant lesquelles elle a fait de nombreuses recherches et expérimentations, notamment en compagnie du philosophe du vivant Baptiste Morizot. Car la création de Suzanne Husky s’appuie sur une base solide et toujours en expansion de recherches scientifiques théoriques et pratiques, et vient retranscrire ses convictions profondes.
Sous nos yeux s’écoule donc une rivière transformée par les castors, de la fin de l’ère glaciaire à nos jours. Avec de nombreuses illustrations à l’aquarelle, des vidéos, quelques pièces de merchandising militant et du bois coupé par les castors, nous suivons les démonstrations de Suzanne Husky sur le rôle clé du castor dans la lutte contre le réchauffement climatique et la sécheresse. Elle souligne la différence entre un cours d’eau en bonne santé aménagé par des castors et celui canalisé par l’homme, propre et net, mais ayant perdu la possibilité de nourrir les écosystèmes qu’il traverse. Par son dessin naturaliste, elle remet également en question notre représentation collective inconsciente du paysage, nourrie par des siècles de peinture académique.
Avec la pièce centrale de l’exposition, un rouleau de près de huit mètres entièrement peint et rehaussé de touches d’orange fluo, Suzanne Husky raconte la longue histoire des relations entre homme et castor. Avec un certain humour et une tendresse évidente pour l’animal, elle nous entraîne dans son récit qui relie pratiques antiques et crise climatique actuelle. Mais elle ne se contente pas de crier à la catastrophe écologique. Au contraire, elle vient avec une solution à mettre en œuvre, que l’on retrouve également dans le rapport 2022 du GIEC, et qu’elle expérimente dans la Drôme : collaborer avec le castor. Car le castor stocke l’eau, régule les cours, nourrit la rivière et contribue ainsi à l’équilibre des animaux, végétaux et écosystèmes qui en dépendent.
Si tout ce travail présenté ici semble très narratif, qu’il explique et schématise de nombreuses idées sur l’eau et les castors, c’est qu’il est destiné à être publié dans un livre écrit avec Baptiste Morizot, L’eau ou la vie. Alliance avec le temps profond face au changement climatique, qui sortira en septembre 2024 chez Actes Sud. En attendant de nous y plonger, nous pouvons suivre les pistes de réflexion ouvertes par l’exposition et changer notre regard sur le castor, longtemps mal considéré. C’est également l’occasion de remettre en question notre vision de la nature et de ce qu’elle devrait être, et ainsi relâcher l’emprise que nous exerçons sur notre environnement.
L’homme est une espèce bâtisseuse comme le castor, et Suzanne Husky nous le démontre bien : rétablir une collaboration inter-espèces serait bénéfique à tous. Une plus grande perméabilité, des sols et des savoir-faire, pourrait nous réconcilier avec Mère Nature et Grand-père Castor.
Suzanne Husky, Le temps profond des rivières
Du 26 janvier au 07 avril 2024
Drawing Lab – Paris
Visuels :
1-Suzanne Husky, co-pensé avec Baptiste Morizot, L’effet castor, 2023, aquarelle sur papier © Courtesy Galerie Alain Gutharc
2-Portrait de Suzanne Husky
3-Suzanne Husky, Grandfather beaver and the tree of life, 2021, aquarelle sur papier, 114,5 x 94,5 cm © Courtesy Galerie Alain Gutharc
4-Vue de l’exposition Le temps profond des rivières de Suzanne Husky (commissariat Lauranne Germond) présentée au Drawing Lab du 26 janvier au 7 avril 2024 © Production Drawing Lab © Photo Nicolas Brasseur