Jusqu’au 30 août au Mémorial de la Shoah, Spirou, mythique personnage belge de groom créé par le fondateur résistant Jean Doisy, rencontre le peintre allemand Felix Nussbaum, déporté et mort à Auschwitz en 1944. Spirou dans la tourmente de la Shoah est un vis-à-vis qui permet d’en apprendre plus sur les conditions de déportation des Juifs de Belgique.
La rencontre imaginée entre le groom belge et le peintre expressionniste a lieu dans de la 4e volume de la BD, L’Espoir malgré tout, d’Émile Bravo (Dupuis). Après avoir dédié un album d’hommage à Spirou et Fantasio, le dessinateur Émile Bravo – lui-même fils de républicain espagnol – a consacré 10 ans à cette série de près de 300 pages qui plonge Spirou, Fantasio et Spip dans la tourmente de la Seconde Guerre mondiale. Or, le dernier volume de cette série qui s’intitule « l’espoir malgré tout » est sortie en mai dernier et dans cet album, Spirou croise… Felix Nussbaum, un peintre juif-allemand qui après avoir fui l’Allemagne a fui un peu partout en Europe s’est retrouvé à Bruxelles et a été déporté à Auschwitz qui est mort avec sa femme également peintre.
« La bande dessinée franco-belge des années 1950, a priori très naïve, parlait de sujets graves comme la noirceur de l’âme humaine, le racisme, le colonialisme… j’ai utilisé́ des codes graphiques « tous publics pour parler de l’occupation nazie et de la Shoah. Sans chercher la comparaison, les parents qui n’ont malheureusement pas ouvert Maus d’Art Spiegelman à leurs enfants leur proposeront peut-être L’espoir malgré tout en estimant que c’est plus accessible », explique Emile Bravo.
L’exposition Spirou dans la tourmente de la Shoah, propose ainsi une plongée dans les années 1940 en Belgique avec des planches de Spirou et d’Emile Bravo, des pages du célèbre « Journal » que les jeunes lisent encore, des toiles de Félix Nussbaum et des documents historiques. Cette plongée dans les années sombres met en lumière la politique derrière le joyeux personnage inventé Rob-Vel en 1938, et développé par plusieurs générations de dessinateurs dont Jigé et Franquin.
On y apprend notamment la « vraie histoire » de Spirou pendant la Guerre. Jean Doisy, l’homme qui a créé en 1938 le Journal de Spirou avec un club de 50 000 enfants en 42 et qui l’a dirigé jusqu’en 1955 est une des plus grandes figures de la Résistance Belge dès 1940. Et non seulement il utilisait Spirou comme couverture de son activité clandestine mais quand le journal a cessé de paraître en 1944, parce que les éditions Dupuis ne voulaient pas de tutelle allemande, Doisy a fait « perdurer l’esprit de Spirou » par un théâtre de marionnettes qui lui permettait aussi de sauver des enfants juifs. Et Spirou est reparu rapidement dès le lendemain de la Libération.
Cette exposition nourrie d’Histoire et de l’Histoire permet également de suivre les évolutions du personnage lui-même. On l’observe se transformer au cœur de cette terrible seconde Guerre mondiale et quitter son identité de jeune héros naïf pour devenir un enquêteur avéré et humaniste. Et également, au fil de l’exposition, le témoins qui croise des personnages historiques permettant à l’exposition de transmettre ce qu’Emile Bravo a réussi à construire dans sa BD : une Histoire fidèle et vertigineuse de la déportation des juifs belges.
Si l’on se penche sur la BD et notamment la BD Belge, Tintin et sa houppette a pu souvent éclipser Spirou. Et pourtant, la BD d’Hergé qui a carrément son immense musée à Louvain la neuve, est grevée par ses idéologies. En plongeant dans le Bruxelles des années noires comme au cœur des ténèbres, Spirou dans la tourmente de la Shoah nous propose de suivre comme un film noir la revanche de Spirou.
Mémorial de la Shoah,17 Rue Geoffroy l’Asnier, 75004 Paris, entrée libre.
Visuel : Dessin original d’Émile Bravo pour l’exposition Spirou dans la tourmente de la Shoah ©Éditions Dupuis.