La Verrière est le lieu d’exposition de la Fondation Hermès à Bruxelles. L’artiste et commissaire du lieu, le talentueux Joël Riff, assume la belle idée de « montrer » et de faire dialoguer les œuvres dans un concept de solo show augmenté. Place aux débordements et aux lacérations de la peintre Emmanuelle Castellan. Superbe.
Il y a tout d’abord, quand on entre dans ce bocal blanc surplombé d’une immense verrière, une sensation parfaite d’unité. Si nous n’avions pas commencé à regarder le catalogue des œuvres ici exposées, nous aurions juré, notre main à couper, que tout, mais alors tout, était signé d’un seul nom. Et c’est là que le sens du détail cher à Joël Riff nous apparaît sans aucune rupture dans l’espace, dans un lieu qui avale l’idée de centre pour se concentrer, ici, dans les coins, le sol et la fenêtre. Ce qui frappe, là encore au premier coup d’œil, c’est la sensation de peintures douces. Mais quelle erreur ! Il suffit de s’en approcher et voilà que ça pique. Partout, au point qu’on doute (est-ce un trait de crayon noir ?), il y a des coupes franches, bien maîtrisées. Emmanuelle Castellan, grand sourire aux lèvres, avoue comme si c’était une bêtise : « j’ai commencé à couper des toiles par accident. Je n’ai pas trouvé cela désagréable. La vulnérabilité me parlait. J’aime me dire que cela peut tomber. »
Donc, elle n’est pas seule. Elle est notamment accompagnée des sculptures posées chacune sur un piédestal de Johannes Nagel. Ce sont des vases en céramiques qui laissent entrevoir largement la place de la main qui creuse, fouille. Ces amphores contemporaines entrent en parfaite résonance, via leurs couleurs, avec les peintures d’Emmanuelle Castellan mais aussi de celles de Norbert Schwontkowski et Walter Swennen. Tout est relié par des couleurs primaires et des motifs aux bords de l’allégorie. Un visage se devine comme une ombre, une peinture prend l’allure d’une lucarne, des yeux nous regardent.
Le regard qui dans cette exposition ne cesse de nous troubler est augmenté par la présence de deux miroirs jumeaux mis en face à face. Ils sont signés de Dagobert Peche qui en pleine effervescence Art déco pose des volutes dorées sur ces adorables cadres. Alors, on s’y regarde et on note que le point de vue sur l’espace s’en trouve modifié. Le spectre est donc infiniment large. Aucun cartel ne vient nous brouiller la vue. D’ailleurs, toutes les œuvres ne portent pas de nom, car elles sont encore en mouvement. Emmanuelle Castellan ne cesse de répéter, dans ses mots et dans les traits de ces personnages et aplats vifs, qu’elle aime laisser les portes ouvertes vers des modifications possibles, et surtout vers des interprétations possibles. Nous adorons particulièrement cette œuvre toute bleue qui est repliée sur elle-même. La matière est omniprésente dans « Spektrum », et rarement l’espace de la Verrière a été aussi décuplé.
Du 16 mai au 27 juillet à La Verrière, Bruxelles.
Visuel : Vue de l’exposition d’Emmanuelle Castellan, « Spektrum », La Verrière, 2024, © Isabelle Arthuis / Fondation d’entreprise Hermès