Une nouvelle fois, à La Verrière, le lieu d’exposition de la Fondation Hermès à Bruxelles, Joël Riff provoque un « solo augmenté » : une exposition qui donne de l’ampleur à un geste singulier en le faisant résonner avec d’autres présences, d’autres pratiques, en l’occurrence une presque monographie de la céramiste Claudine Monchaussé, avec le souvenir de son ancêtre Marie Talbot, les lignes pures de Nicolas Bourthoumieux, les cuivres arc-en-ciel de mountaincutters et la poésie de Damien Fragnon.
Joël Riff aime quand les choses ne sont pas évidentes, quand il faut voir d’abord à travers un rideau qui pourtant n’occupe qu’un infime espace de la pièce. Et toutefois, il se pose là, ce rideau, pile à l’entrée, juste après le tout petit escalier qui sépare la boutique Hermès de son lieu d’exposition. On apprend que cette toile blanche semi-opaque est une collaboration entre Nicolas Bourthoumieux, aux piquets noirs en métal et à la structure blanche, Lily Sato, et Claudine Monchaussé qui laisse apparaître l’une de ses petites statuettes qui ont l’air de signes paléolithiques, ou bien mystiques, ou bien totémiques. Les œuvres de cette artiste ne sont pas nommées, elles s’appellent toutes « sculpture ».
Claudine Monchaussé naît en Champagne, en 1936, et elle s’installe définitivement dans le village berrichon de La Borne, haut lieu de la poterie identifié dès le XIIᵉ siècle, apprend-on. Elle a donc aujourd’hui 89 ans et elle est toujours prête à se brûler les mains. Ses œuvres ressemblent à du métal, pourtant elles sont en grès. Si l’on est saisi de trouble en n’arrivant pas à croire ce qui se dresse, solide, devant nos yeux, c’est que cette artiste joue depuis longtemps avec l’idée de raisonnable. Elle fait cuire ses œuvres à 1200 degrés, soit le double de la céramique traditionnelle. Il suffit de la voir sur l’œuvre un peu plus symbolique que nous offre la Verrière, le presque catalogue où se trouve le texte Quand puiser l’eau, de Damien Fragnon, dont les extraits nous servent d’intertitres dans cet article. Une photo la montre, longs cheveux gris, auprès de son four dont sortent des flammes ardentes.
Sur des promontoires blancs, séparés alors qu’ils ont été conçus pour s’imbriquer, nous découvrons, cachés le plus souvent, ces trophées témoins d’une guerre gagnée dans un passé ancien. On en compte une quarantaine, ils sont tous un peu les mêmes mais tous très différents. L’allure est phallique, c’est assumé et après, comme le dit Nicky Doll, « ça diverge » : ils sont dotés d’amulettes rondes ou triangulaires et parfois d’autres signes aux allures encore plus occultes. Certaines ont des allures de poupées, notamment une qui est confrontée à une bouteille en forme de figurine féminine de Marie Talbot, star de la céramique, à son époque, au XIXᵉ siècle. L’œuvre, très sensible et précise, date de 1840.
Toujours à la Verrière, vous serez surpris de découvrir des éléments au second regard. Nous n’avions, par exemple, pas remarqué cette boule dorée qui tient comme par magie au bord de la suspension sur le mur. Elle est signée de Nicolas Bourthoumieux, qui sort ici de sa passion pour l’ultra-noir à la Soulages, que l’on retrouve sur un rocking-chair tout en métal et deux flèches pointées vers le ciel. On le découvre également bon photographe au cœur de l’environnement de Claudine, jusqu’à avoir capté la nostalgie d’une cabane pour enfant dans le jardin.
L’air de rien, Joël Riff nous donne à voir une multitude d’artistes qui sont tous reliés par la matière. C’est ainsi qu’un mur entier présente en alternance des œuvres de Nicolas Bourthoumieux, Germaine Richier, ici une eau-forte, et quelques-unes très percutantes dans le fond et la forme de mountaincutters. Par exemple, deux petites mains en verre jaune soutenues par un fil barbelé ou une autre main, enfin, sa trace plutôt, prise dans la pierre.
Une nouvelle fois, la Verrière propose un ensemble qui demande de s’y plonger pour comprendre, bien guidé·e·s par les excellent.es médiateur·rices du lieu.
Claudine Monchaussé, jusqu’au 13 décembre 2025 à La Verrière, Boulevard de Waterloo 50, 1000 Bruxelles. Entrée libre, du mardi au samedi de 12 heures à 18 heures.
Visuel : ©ABN