Rébecca Chaillon transforme en hooligans le public sage du Centre Pompidou
par Julia Wahl21.01.2024
Inspiré.es par l’actualité olympique, Mathieu Potte-Bonneville et Géraldine Gomez, respectivement directeur du département culture et création du Centre Pompidou et chargée de programmation, ont décidé cette année de mettre le sport et ses règles au cœur du festival Hors Pistes. Au menu, des conférences, des installations, du cinéma et du spectacle vivant. Avec, pour interroger la place des femmes dans ce monde encore trop masculin, les Dégommeuses et le spectacle de Rébecca Chaillon Où la chèvre est attachée il faut qu’elle broute.
Foot et virilité
Les Dégommeuses, c’est une équipe de football féminine, constituée majoritairement de lesbiennes et de personnes non binaires. C’est vers iels que s’est tournée Rébecca Chaillon pour créer en 2019 Où la chèvre est attachée il faut qu’elle broute.
Pourtant, au début du spectacle, elle est seule : face au public se trouvent d’autres gradins, ceux d’un stade de foot où elle nous fait face, assise sur la dernière marche, mastiquant longuement et bruyamment des pizzas sans doute plus très chaudes, décapsulant des bières d’un coup de dent ou rotant allègrement.
Rejeter les injonctions à la féminité
A cette représentation des monstrations de virilité des supporters masculins de foot répond bientôt l’arrivée de l’équipe des Dégommeuses, dont les maillots de foot dévoilent des tenues bien sexy. Peut-on, quand on est une femme, faire du sport, sans être assignée à la beauté ? Le spectacle interroge cette question par un travail sur le costume, mais aussi par les propos de journalistes sportifs. Bien vite, en effet, un écran est envahi d’un match de foot dont les commentaires – assurés, bien sûr, par des journalistes masculins – sont incroyables de condescendance.
Rébecca Chaillon joue donc ici, comme elle sait le faire, des différents procédés scéniques à sa disposition : écrans, costumes, sons et travail de l’espace. Grâce à son humour et à l’entrain des Dégommeuses, elle fait participer le public à cet étrange match de foot : les spectateurs et spectatrices se lèvent, applaudissent des dribbles, crient. Bref, iels manifestent leurs émotions à la manière des supporters de foot. Et c’est peut-être là le succès principal de Où la chèvre est attachée il faut qu’elle broute : créer cette cohésion et cet enthousiasme dignes de hooligans tout en soulevant d’importantes questions de société.
Conférences et exposition
Le festival Hors Pistes a donné carte blanche aux Dégommeuses pour un programme sur la place des femmes dans le sport. L’équipe de foot a ainsi créé « Le grand écart », qui voit se succéder une conférence sur l’histoire du football féminin par Hortense Belhôte, une performance sur le fair-play par Chloé Serre et des lectures de Despentes ou La Rata. Programmé juste avant Où la chèvre est attachée il faut qu’elle broute, ce dispositif prépare intelligemment le public au spectacle.
Le festival ne saurait être réduit à ce week-end : il s’étend jusqu’au 18 février et propose également une exposition sur divers aspects du sport, dont le devenir du stade olympique d’Athènes dans l’installation Athena nike de Pauline Bastard, les activités physiques de loisir dans The Park, d’Ulu Braun, panorama vidéo situé dans un parc berlinois, ou Mauvaise graine, de Laurent Roth, qui imagine une lettre de François Truffaut à son père à partir d’un petit film créé par ce dernier, qui raconte l’initiation à l’alpinisme de deux enfants. Côté cinéma, ce sport sera représenté par Thomas Salvador.
Le programme complet du festival est accessible sur le site du Centre Pompidou.
Où la chèvre est attachée il faut qu’elle broute, Rébecca Chaillon, Centre Pompidou, Grande Salle, du 20 au 22 janvier.
Visuel : © Juanita Boada Salazar
