Quand une lettre devient indispensable…

Les prisonniers oubliés

Deux ans et demi déjà que dure la guerre en Ukraine. Les chiffres sont effrayants! Le total des victimes, morts ou blessés, des deux camps approcherait le million. Il y aurait environ 6000 prisonniers ukrainiens en Russie. Alors l’accueil d’artistes ukrainiens à Paris est toujours un événement important dans notre soutien à l’Ukraine. Katia Syta est venue de Kiev présenter les œuvres de collages de 21 artistes. L’exposition est soutenue par la mairie du XIème arrondissement de Paris. Elle aborde une facette méconnue du conflit, le sort des civils prisonniers de guerre.

JM Chamouard: Parlez moi de votre travail en tant qu’artiste vivant à Kiev.
Katia Syta: Annette Sagal et moi sommes cofondatrices d’un studio de collages à Kiev. C’est le Cutout collage art project, un lieu d’apprentissage et de libre créativité. Vingt et un artistes résidents y travaillent régulièrement. Nous sommes les premiers à avoir organisé, tous les deux ans un festival de collages.

JMC: Vous êtes à l’origine de ce projet. Comment l’idée vous est elle venue?
KS: Nous avons commencé par recueillir des photographies de femmes de prisonniers. Ces portraits ont été réalisés en particulier par Olena Morozova, une photographe reconnue en Ukraine. Nous y avons adjoint, par des collages, des fragments de lettres de prisonniers. Ces textes sont très personnels, nous ne les avons pas exposés en totalité. Ce travail a permis aussi un dialogue avec les femmes et les familles de prisonniers qui souvent s’enferment dans le silence, peut être par peur.

JMC: Il ne s’agit pas seulement de prisonniers militaires mais aussi de civils pour qui la situation serait encore plus difficile.
KS: Oui car les prisonniers militaires gardent le soutien de leur hiérarchie. Les prisonniers civils sont seuls et suspects. Ceux sont surtout des hommes habitant les régions occupées de Kherson ou de Marioupol par exemple. Ils ont été arrêtés par les russes pour non collaboration ou pour avoir aider comme volontaires l’armée ukrainienne. Ou ce sont des simples otages. Cette exposition permet de mettre en lumière leur sort. C’est le «soft power» des artistes.

JMC: Que souhaitent d’abord les familles de prisonniers
KS: des lettres! Des lettres pour avoir plus rapidement des nouvelles. On ne sait jamais si les disparus sont morts ou prisonniers. Il faudrait des lettres plus fréquentes et moins sommaires, moins censurées.

JMC: Comment cela se passe t’il sur le front pour les soldats ukrainiens
KS: Leur situation est très difficile. Il sont souvent dans le dénuement, pour dormir, pour se nourrir. Ils souffrent beaucoup psychologiquement et ne peuvent pas communiquer. Ils se réfugient dans le silence car c’est trop douloureux.

Une exposition émouvante

Le visiteur va découvrir des œuvres émouvantes, riches de significations multiples. Cet assemblage de photographies et de collages est une réussite. Ainsi la photographie d’Olena Morosova montre une famille: un homme, une femme, un bébé. C’est un portrait lumineux, presque religieux, une image rayonnante mais assombrie par les messages de prisonniers.«Feelings» est une œuvre très pure, très émouvante. Elle montre une femme au visage à demi caché par les lettres. Elle exprime à la fois le désarroi et la recherche d’une consolation. Annette Sagal superpose une lettre entière au visage de la femme qui attend. On remarquera aussi une montre et le sceau de la croix rouge, lourd de sens. Dans «Stand behind the facts», Annette Sagal représente le morcellement de la vie d’une femme par la guerre. Des paysages se superposent à son visage, à sa silhouette. Des paysages que l’on imagine douloureux car inaccessibles à un prisonnier: la campagne vue par la vitre d’une voiture, des montagnes survolées par un avion.
Katia Syta a intitulé son collage «Icône». Des femmes y attendent des lettres de prisonniers mais elles veulent encore croire en l’amour, en la liberté, en un avenir meilleur. A travers cette exposition, grâce à ses visiteurs, Katia Syta veut transmettre un message de soutien, d’espoir aux femmes de prisonniers et à tous les ukrainiens qui luttent pour leur survie.