Dans l’intimité feutrée de l’espace imaginé par nos confrères d’Art Absolument, une voix ancienne se fait entendre. Celle de la Terre, tantôt bruissante, tantôt métallique, mais toujours vibrante. L’exposition Terre d’artistes, orchestrée par Domitille d’Orgeval, nous invite à plonger les mains et les sens dans cette matière originelle. Trois générations d’artistes y croisent leurs pratiques pour éveiller une conscience nouvelle : celle d’un lien indéfectible entre l’Homme et son habitat premier.
Au cœur de cette exposition, l’artiste presque centenaire Monette Guermont se distingue par une approche aussi érudite qu’intimiste. Poétesse des pigments et des textures, elle façonne ses œuvres comme on écrit une lettre d’amour à la Terre. Ses Réseaux, faits de poudres de brique, de charbon et de ficelles croisées, capturent l’essence d’un paysage vu du ciel, des parcelles qui tissent des histoires invisibles. Comme elle écrit elle-même :
« Avec de la terre, les couleurs de la terre
J’ai fait le portrait de la terre
Mon portrait
Puisque moi aussi
Je suis la terre »
Ces quelques vers révèlent une alchimie entre matière et mémoire. Ses abstractions, à la fois élémentaires et sophistiquées, incarnent une véritable cartographie intime, où chaque tracé raconte une émotion. L’utilisation de la ficelle, à l’image de Champ de ronces (1978), évoque des limites mouvantes entre ciel et terre, entre racines et souvenirs.
Monette Guermont a également été influencée par sa jeunesse transatlantique, entre la France, l’Argentine et l’Uruguay où elle rencontre notamment Torres Garcia. Ce va-et-vient culturel a nourri son rapport charnel à la matière, lui inspirant des œuvres comme Balance (1975), où la brique pilée et le mica fusionnent en un hommage vibrant à la richesse des sols. Ses créations nous parlent du temps, de l’érosion et de la préservation, invitant le spectateur à une méditation sur l’impermanence.
Jean Dubuffet, alchimiste des textures, ouvre ce dialogue avec ses Matériologies. Ici, la matière devient le véritable sujet, recréée, transformée, magnifiée dans des œuvres comme Carnaval. Les tonalités terreuses se bousculent, de l’ocre au brun, rappelant des paysages arides fissurés, à mi-chemin entre le rêve et la géologie. Dubuffet sublime la matière brute, élevant l’ordinaire à l’extraordinaire.
De son côté, herman de vries célèbre la diversité des sols dans ses From Earth, où chaque frottage rend hommage à la richesse chromatique et texturale des terres. Ces œuvres, présentées en grilles minimalistes, évoquent autant l’archivage scientifique que la contemplation poétique. L’artiste nous invite à reconnaître la beauté discrète du sol, matrice de toute vie.
Richard Long, pionnier du Land Art, fait de la marche un art à part entière. Ses œuvres, comme ce Sans titre (1991), capturent les traces éphémères de la boue, guidées par les lois naturelles de la gravité. Il laisse la matière parler, rappelant que la nature est à la fois actrice et spectatrice de ses créations.
Caroline Le Méhauté, quant à elle, explore les liens entre le corps et la Terre. Avec des sculptures immersives comme Négociation 66, elle associe tourbe multimillénaire et sonorités magmatiques. Son approche engage le spectateur dans une réflexion sensorielle et écologique, où l’art devient une médiation entre l’humain et l’environnement.
Enfin, Benoît Lefeuvre utilise la photographie comme métamorphose. Dans sa série Earthworks, il enfouit des films argentiques dans la terre, où le mycélium agit comme un révélateur chimique. Ce processus poétique réinvente la mémoire visuelle en jouant sur l’éphémère et la transformation. L’artiste brouille les frontières entre nature et artifice, explorant les connexions entre passé, présent et futur.
Terre d’artistes n’est pas qu’une exposition, c’est un manifeste. Faisant écho à la pensée de Bruno Latour, elle réclame une nouvelle attention au vivant, une écoute sensible à la beauté fragile des sols. Ces œuvres résonnent comme des appels à agir, à créer sans détruire, à collaborer avec la nature plutôt qu’à la dominer.
La Terre, ici, devient bien plus qu’un support : elle est une promesse, une révélation. Dans ce parcours, chaque pas éveille un écho, chaque regard s’imprègne d’un temps étiré entre le passé et l’avenir. Alors, laissez-vous guider par ces récits de terre et redécouvrez le sol sous vos pieds.
Terres d’artistes, à découvrir jusqu’au 15 mars 2025, à l’espace Art Absolument, Paris 6e.