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« Présences arabes » : l’exposition indispensable

par Jean-Marie Chamouard
08.04.2024

L’exposition « Présences arabes » se tiendra au Musée d’Art Moderne (MAM) de Paris du 5 avril au 25 août 2024. L’occasion de découvrir des artistes souvent peu connus, de comprendre un autre art moderne, celui qui s’est épanoui dans le monde arabe au 20ᵉ siècle.

Paris, une ville phare pour les artistes arabes

«Présences arabes» est une vaste exposition, par l’espace qui lui est consacré, par le nombre d’artistes exposés, 130 en tout. Elle est inédite, «nous faisant découvrir un autre regard sur une autre modernité». Elle couvre la quasi totalité du monde arabe, de Casablanca à Bagdad et la plus grande partie du 20ème siècle de 1908 à 1988. Deux dates importantes: 1908 c’est l’ouverture de l’école des Beaux arts au Caire et l’arrivée à Paris du poète et peintre libanais Gibran Khalil Gibran. L’exposition débute d’ailleurs par le portrait de son accompagnatrice Charlotte Teller. Une peinture d’une grande douceur par les traits du visage, par ses couleurs ocres et orangées. 1988 c’est la première exposition d’artistes contemporains arabes à l’Institut du Monde Arabe qui venait d’être inauguré.
L’exposition du MAM a une dimension historique majeure. La colonisation, la décolonisation, les indépendances, les conflits au Proche et Moyen orient auront une influence décisive sur la création artistique. Les explications historiques sont claires et des fresques chronologiques peuvent aider le visiteur à se repérer dans le temps. Mais «Présences Arabes» nous parle aussi de Paris souvent considéré comme une capitale culturelle arabe. Tous les artistes exposés y ont séjourné, étudié, travaillé.

De l’orientalisme à l’abstraction

Bien que promises pendant la Première Guerre mondiale, les indépendances tardent à venir. L’exposition nous le montre de manière saisissante. Le tableau très officiel de la Proclamation du Grand Liban côtoie la photographie de la révolte druze de 1925 avec les morts allongés au sol. L’orientalisme était lié à la colonisation. Peu à peu, les artistes vont s’en dégager, s’approprier la modernité occidentale sans renoncer à leurs traditions propres. C’est la Nahda, la renaissance. La femme aux boucles d’or, le tableau de Mahmoud Saïd est représentatif de l’orientalisme encore au cœur, en 1933, de la culture égyptienne. La volupté est manifeste, le voile a disparu, elle représente une certaine libération. Au centre de la pièce le visiteur sera saisi par la beauté de la statue en pierre de Mahmoud Mokhtar, la Fiancée du Nil. La pureté de la sculpture évoque une œuvre grecque antique. La douceur du visage, la finesse de la chevelure, la délicatesse du collier sont très émouvantes. La modernité apparaît dans l’œuvre de la jeune peintre algérienne Baya. La femme en robe orange et cheval bleu est une gouache de 1947. Une œuvre envoûtante en particulier par la beauté des couleurs, par l’union parfaite de l’orange, du bleu et du vert. L’abstraction caractérise la Composition 1950 de Fahrelnissa Zeid, artiste turco-jordanienne. L’enchevêtrement des couleurs est magnifique, il n’est pas sans rappeler les mosaïques ottomanes.

Les luttes pour l’indépendance

En 1956, la république égyptienne n’a que trois ans, le nationalisme arabe est en plein essor. Dans son tableau Conscience du sol Hamed Abdallah se confronte à l’orientalisme, les personnages sont simplifiés et le peintre s’est inspiré de l’art populaire égyptien. Mais l’exposition traite surtout du combat pour l’indépendance de l’Algérie. Des affiches, pour ou contre l’indépendance et des photographies de guerre, sont exposées. Les dessins de Chouakri Mesli, réalisés lors de son service militaire, décorent le revers de cartes géographiques. Très simples, ils représentent les paysages algériens pendant la guerre. Le tableau de Jean de Maisonseul, Mendiant à la mitraillette est impressionnant. D’un fond abstrait, ocre, constitué de rectangles juxtaposés, émerge une inquiétante mitraillette noire, elle bien réelle. Le bidonville de Nanterre d’André Fougeron est un tableau hyper-réaliste, la misère des immigrés y est palpable.

L’apocalypse arabe

L’apocalypse arabe est un poème réquisitoire paru à Paris en 1980, écrit par la poétesse libanaise Etel Adnan, indignée par la multiplication des conflits dans le monde arabe. La violence va dominer la dernière partie de l’exposition, consacrée à la période 1967-1988. La vue du tableau de Gazbia Sirry, 1967, Les enfants et la guerre est presque insupportable. Une douleur intense émane des corps meurtris, désarticulés. Le portrait du peintre syrien Marwan Kassab-Bachi, L’homme au gilet vert exprime douleur et résignation. Impressionnante aussi la peinture sans titre , 1982, d’Ala Bashir le médecin de Saddam Hussein qui dénonce en secret la violence du régime.
Mais tout n’est pas sombre en cette fin d’exposition. La sérigraphie de Mona Saudi rend hommage au poète palestinien Mahmoud Darwich et à son poème L’arbre des amoureux. Le blanc éclatant, les couleurs vives, les formes presque infantiles de l’œuvre d’ Huguette Caland pourraient aussi symboliser un message d’espoir.
«Présences arabes » est une exposition ambitieuse, très enrichissante pour le visiteur. Il pourra y découvrir des artistes peu connus, des œuvres très variées, souvent séduisantes. L’exposition est un moment important dans l’histoire de l’art du 20ᵉ siècle. Elle s’appuie sur un important travail de recherche. Son évocation historique est convaincante. La décolonisation inachevée et les conflits destructeurs du 20ᵉ siècle sont au cœur de l’exposition, des tragédies qui résonnent douloureusement dans le contexte actuel.

Musée d’Art Moderne (MAM) de Paris du 5 avril au 25 août 2024. Informations et réservations.

Visuel : ©Fahrelnissa Zeid, Composition 1950, Musée d’Art Moderne de Paris