Préhistomania : « les grottes ornées » au cœur de l’exposition

C’est un patrimoine inestimable : il y aurait 45 millions de peintures rupestres et pariétales dans 170 000 sites répartis sur tous les continents. Les artistes étaient chasseurs cueilleurs pour 70%, pasteurs et agriculteurs pour 30% d’entre eux. Leurs œuvres nous sont parvenues grâce aux relevés réalisés par des explorateurs, des dessinateurs, des artistes sur le terrain. A partir de calques, ont été réalisées des aquarelles sur papier ou des huiles sur toile. Ces relevés sont fragiles et précieux. Leur technique s’est perfectionnée avec le temps, utilisant la photographie et la photogrammétrie. Ils nous révèlent des sites parfois dégradés et témoignent d’un monde révolu comme le Sahara vert. Il s’agit à la fois d’œuvres d’art, de documents historiques et scientifiques d’une valeur inestimable.

Les œuvres exposées proviennent des collections du Muséum d’Histoire Naturelle et de l’Institut Frobenius de Francfort-sur-le-Main.

Un choc esthétique

Le visiteur rentre dans un couloir un peu sombre, coudé. Les relevés sont là, grands, gigantesques parfois, d’une beauté fascinante. Ils s’imposent au visiteur, comme s’il rentrait dans les sites originaux. C’est le début d’un voyage sur tous les continents. Nous voilà d’abord en Afrique Australe: La cérémonie de l’éclair et de la pluie, le relevé de Joaquim Lutz est un dessin abstrait, montrant une forme allongée, aérienne. La Procession d’Élisabeth Mannsfeld est très émouvante, très esthétique. Les silhouettes élancées, peintes en rouge, défilent tels des pantins. Gérard Bailloud a exploré au milieu des années 50 le site d’Ennedi au Tchad. Ces relevés, sans titre, sont des gouaches sur papier, frappantes par l’intensité de ses rouges. Magnifiques costumes, instruments de musiques, danseuses, personnages semblant flotter dans l’air, les relevés de Gérard Bailloud nous laissent rêveurs par leur beauté. Henri Lhote a exploré le Sahara. Son relevé Girafes avec antilopes et autruche est séduisant par sa composition parfaite, digne d’un tableau classique et la douceur des ocres orangés. Après un détour par la Papouasie, les relevés témoignent de l’Europe à la période glacière. Les peintures ne concernent que des animaux. La frise de chevaux retranscrite par Maria Weyersberg est immense, c’est une huile sur toile dans un dégradé de gris et de blanc. Le bison femelle debout provient de la grotte d’Altamira en Espagne. La puissance de l’animal est soulignée par l’intensité de l’ocre.

D’aventureuses expéditions

Le visiteur rentre dans une salle claire spacieuse, dominée par l’imposante peinture d’Henri Lhote, le Grand Dieu aux Orantes de Séfar, restaurée au Musée de l’Homme, l’été 2023. Nous sommes dans un atelier, à la découverte des expéditions. Au centre est reconstitué un bureau où sont exposés les objets de la malle d’Henri Lhote. Des portraits et courtes biographies des principaux explorateurs sont accrochés aux murs, en particulier ceux des fondateurs de la discipline, l’Abbé Breuil et Leo Frobenius. Les femmes ne sont pas oubliées: archéologues, photographes dessinatrices, elles étaient nombreuses sur le terrain. Et puis il y a les photographies. Elles nous font vivre les expéditions en nous montrant des moments du quotidien: un café, un relai routier, la traversée d’un fleuve, une voiture renversée. Les expéditions étaient souvent hasardeuses, les conditions de travail rudes. Le visiteur découvre ainsi sur de grandes photographies une escalade périlleuse de la paroi d’une grotte, ou une longue échelle de corde paraissant …peu sûre.

Une source d’inspiration pour les artiste du XXe siècle

Tout est parti de la rencontre en 1929 à Johannesburg entre l’Abbé Breuil et Léo Frobenius. Ils décident de faire connaître au grand public, grâce à leurs relevés, les peintures préhistoriques. Ils organisent une première exposition à la salle Pleyel en 1930 et au Musée Ethnographique du Trocadéro en 1933. Suivront des expositions dans plusieurs capitales européennes et au Moma à New York en 1937. Les œuvres rupestres vont influencer et inspirer les peintres contemporains. L’exposition nous montre un dialogue entre artistes à travers les millénaires. Deux tableaux de Paul Klée de 1938 Bedrohliche Zeichen et Dame aus Lab rappellent les œuvres préhistoriques par leurs couleurs et leurs formes curvilignes La peinture abstraite, chaotique de Jackson Pollock Peinture argent sur noir, blanc, jaune et rouge fait face et rentre en correspondance avec la gigantesque fresque de Joaquim Lutz Grands éléphants autres animaux hommes. Les innombrables animaux, l’apparent désordre, la foule de détails pourraient faire penser à un tableau de Bruegel. Impressionnant.

Préhistomania est une exposition très réussie, spacieuse, didactique. La beauté de nombreux relevés est inoubliable. Alors laissons la parole au poète José Saramago: «Les peintures rupestres sont des poèmes visuels gravés dans la pierre témoignant de la créativité inépuisable de l’esprit humain»