Jusqu’au 30 novembre, la galerie 20
Thorigny présente l’exposition PALIMPSESTE du plasticien Guillaume Pelloux. L’artiste y transforme les fragments du passé en territoires sensibles : papiers anciens, couvertures de livres, cartographies effacées : autant de matières survivantes où le temps se déplie et nous murmure d’autres façons de voir. Une traversée silencieuse, presque liturgique, où chaque trace devient apparition.
On entre dans Palimpseste comme on franchit le seuil d’un manuscrit ancien : la lumière glisse sur des peaux de papier qui ont déjà vécu, des surfaces qui se souviennent. Rien ici n’est neuf. Chaque œuvre semble vibrer au fil des traces, de la poussière, des passages du temps et nous révèle des survivances. Une démarche acétique, où les fragments deviennent un langage.
Un palimpseste est, à l’origine, un manuscrit ancien dont on a gratté l’encre pour y réécrire un nouveau texte — sans jamais effacer totalement les traces du premier.
Pour Guillaume Pelloux, le palimpseste n’est pas une métaphore : c’est une méthode, une façon de fouiller le visible, de s’approprier le temps. Ses œuvres naissent de plis, de taches, d’anciennes cicatrices qui forment un alphabet discret.
L’artiste ne compose pas : il laisse apparaître.

Deux œuvres se détachent de l’exposition et racontent, à elles seules, cette démarche quasi sacerdotale. Dans Autoportrait, une colonne bleue soutient un ensemble fragile, traversé par une pulsation orange — une lumière qui semble jaillir du tumulte intérieur. Dans Chemin du Silence, une verticale se dresse dans la matière brute, bordée d’un grand vide lumineux.
On retrouve ce même mouvement dans Partitions du Silence I, où des versos de partitions anciennes, cousus d’ombres et de traces d’encre, deviennent une musique retenue, suspendue.
Dans Strates noires, des chemises cartonnées se superposent comme des falaises d’encre, révélant un paysage nocturne où la lumière semble se retirer pour mieux laisser vibrer la densité du noir. Plus loin, Topographie effacée recouvre une carte ancienne d’un calque laiteux, comme si le monde s’était laissé recouvrir par un brouillard de mémoire. Par contraste, Fragment bleu s’affirme comme un éclat de couleur, presque minéral, qui surgit au milieu du papier usé.Et puis vient Silences Pathé I, où des pochettes Pathé usées laissent apparaître les cercles pâlis des vinyles disparus. Le son n’y est plus, mais son empreinte demeure.. Une mémoire sonore devenue silence, tenue en équilibre dans la toile.

L’exposition se lit comme un ensemble de survivances, où les œuvres dialoguent dans un murmure.
Les Partitions du silence dressent une musique effacée : versos de partitions, nuances de blanc, respirations muettes. Vestige domestique oppose deux papiers peints arrachés à des lieux intimes, transformant l’abandon en tendresse matérielle. Les Structures muettes assemblent couvertures et cartonnages en une architecture sans mots, où chaque relief devient une pierre posée. Les Cartes silencieuses rendent au papier ce que les cartes avaient tenté d’ordonner : les plis, la fatigue, les gestes du voyageur. Chaque série se déploie comme une variation de la même intuition et révèle ce qui a été n’a jamais vraiment disparu.
La puissance de l’exposition Palimpseste tient dans sa retenue. Les moments de couleur — bleu, ocre, rose, orange surgissent comme des ponctuations dans un territoire dominé par les beiges et les gris patinés.
Guillaume Pelloux travaille dans une tension douce entre apparition et effacement, pour adopter une esthétique du presque-rien : fragments, résidus, matières qui invitent à ralentir, à s’arrêter sur un détail insignifiant devenu essentiel.
Ses œuvres ne montrent pas : elles laissent advenir. Entre une feuille jaunie et une couverture épuisée, une vérité silencieuse affleure doucement, où la disparition devient forme.
Ce qui frappe, en quittant la galerie, c’est cette sensation d’avoir traversé un territoire de mémoire plutôt qu’une exposition. Guillaume Pelloux nous rappelle que nous sommes nous aussi faits de strates, de failles, de reprises. Son art du palimpseste n’est pas un geste de célébration du passé, mais bien au contraire une manière d’habiter le présent. Dans ces surfaces silencieuses, une respiration surgit, intensément vivante.
Palimpseste de Guillaume Pellloux : jusqu’au 30 novembre à la galerie 20 Thorigny, 20 Rue de Thorigny, 75003 Paris
Visuels : DH